Une étape sur un Jimefarvkansa
Bien que cette partie de la Jungle fût assez touffue, la lumière du Soleil perçait quelque peu la canopée et annonçait la fin proche du jeftu. Déjà la marche se faisait plus lente. Tandis que la pénombre dominait peu à peu les alentours, Narju voyait de moins en moins loin autour d'elle. Pointant des marques colorées sur un rocher massif en bordure du sentier quelques mètres au devant, Piuesh se retourna sans cesser de marcher et annonça : “Le campement n'est plus très loin !” puis ajouta d'un regard malicieux : “S'il n'est pas parti vaquer à d'autres occupations toutefois”. Sans attendre une quelconque réaction, elle sortit de sa besace la petite calebasse usuelle des guides du Zug Ginkapstani et saisit tour à tour les trois brosses servant à fermer chacun des trois orifices contenant le mélange de pigment et de liant d'huile de Kosko. Puis, sans ralentir le pas, elle raviva les couleurs des signes annonciateurs du camp qu'elle avait identifiés quelques secondes plus tôt.
La proximité d'un campement où elle pourrait enfin se reposer donna à la petite troupe de Quetzara un regain d'énergie et d'entrain. Tout en suivant la file d'un bon pas, Narju restait néanmoins pensive, la dernière remarque de Piuesh l'interpellait : “Que voulait-elle dire par là ? Le camp était-il vivant ?”. Elle profiterait du repas ce soir pour la questionner si elle n'en reparlait pas d'ici là. Puis, chassant ces pensées jusqu'à nouvel ordre, elle joignit le chœur de marche entonné par sa camarade Cnovoa et repris par la troupe tout en regardant Piuesh en tête de file qui avançait d'un pas à la fois léger et déterminé. Piuesh était vraiment reconnaissable parmi ses semblables Quetzara, outre son plumage vert émeraude à l'exception d'un ventre peuplé de duvet fin rouge profond, de nombreuses plumes effilochées jaunes et orange formaient une longue crête sur sa tête, descendant dans son cou et parsemant sa longue queue ainsi que ses ailes. La première étape de leur migration avait commencé hier au dernier quart du jeftu : autant il avait été possible la nuit dernière de voyager à la lumière d'Elyan depuis la Jungle clairsemée en bordure du Désert du Ponant, autant depuis ce matin la forêt occupait tout l'espace visible y compris vers le ciel, appelant à un arrêt ou une marche éclairée à la lampe cette nuit. La fatigue cumulée de la troupe, constituée surtout de novices, appelait à la première option.
Moins d'une heure plus tard, Piuesh arrêta la troupe au pied d'un large arbre à quelques mètres en dehors du sentier. La pénombre maintenant bien établie ne permit pas à Narju d'identifier à quelle espèce il appartenait. Son feuillage s'étendait au-dessus du chemin. Bien qu'elle ne distinguait pas les feuilles elle-mêmes, elle observa de nombreuses lianes qui descendaient des hauteurs. Le tronc était de bonne taille, Narju estimait qu'au moins huit ou neuf Quetzara au moins devraient se donner les mains pour en faire le tour, cependant les premières branches n'étaient pas si hautes, quelques mètres tout au plus mais elles étaient étrangement larges. En tournant autour pour mieux l'observer, Narju vit que le tronc lui-même avait de nombreuses aspérités sur une face non visible depuis le sentier et, en y regardant mieux, on pouvait identifier des prises relativement nettes. Bien que trop désordonnées pour y voir une logique zbasu, ces prises lui semblaient néanmoins former une voie permettant la montée.
Piuesh et deux autres vétérans des migrations se dirigèrent vers le tronc, l'escaladèrent par la voie repérée et se dirigèrent promptement vers divers points de ce que Narju devina comme étant le camp tandis que le reste de la troupe attendait en bas, le regard vers le ciel, tentant vainement de distinguer ce que les vétérans faisaient au-delà des feuilles. Quelques secondes plus tard, de légers points lumière rouge émanaient de différentes hauteurs éloignées du tronc puis enfin juste au-dessus de la troupe. “Vous pouvez grimpez maintenant” déclara l'un des vétérans tout en faisant signe aux autres d'avancer vers les prises. Narju pas plus que Cnova n'avaient eu l'occasion de faire la connaissance des vétérans avant le départ et le sentier étroit n'avait pas permis jusque là autre chose qu'une marche les uns derrière les autres. Comme les vétérans ouvraient la marche avec Piuesh ou la fermaient, ni Cnovoa ni Narju, qui étaient en milieu de file, n’avaient pu ne serait-ce qu’entendre leurs noms.
Les Quetzara montèrent un par un. À son tour, Narju escalada prestement et arriva sur ce qui lui semblait être un premier palier, celui-ci présentant étrangement une surface plutôt plane. Quatre immenses branches, “Très lakne” se dit-elle, partaient chacune du palier dans une direction différente, montant en pente douce vers ce qui semblait être d'autres plateformes d'où provenaient des lueurs rougeâtres. Elle repéra la source de cette dernière lueur rouge qu'elle avait pu observer : un krili noir était disposé au centre du premier palier et il devait en être de même sur les autres plateformes : sans que la lumière puisse aveugler qui que ce soit, l'ensemble du campement était maintenant illuminé. On ne devait même pas vraiment voir ces lueurs depuis le sentier, hormis celle du premier palier, si on ne les cherchait pas. Tandis que ses camarades novices poussaient des exclamations en observant les ramifications de la plateforme qu'elles venaient tout juste d'atteindre, Narju observa au centre du palier le support du krili : c'était comme si l'arbre avait fait pousser une excroissance épousant exactement la forme du krili qu'il accueillait pour en former un réceptacle ayant la hauteur et la profondeur adaptées tel que l'on attendrait. Narju n'avait jamais rien vu de tel et en restait ébahie.
Piuesh, au loin depuis le bout de la branche immédiatement en face de l'accès, leur héla : “Maintenant que tout le monde est monté, réglez le krili en luminosité minimale et venez me rejoindre ici”. Narju repris brusquement ses esprits, ferma son bec qui gisait ouvert d'étonnement depuis sa découverte, se releva et pris la tête de la troupe. La branche agissait ainsi comme un pont vers une plateforme située à une vingtaine de mètres de l'autre coté du sentier. Elle devait probablement être invisible depuis celui-ci même en plein jour, Narju ne pouvait que l'imaginer à travers le feuillage. La plateforme sur laquelle elle arriva était déjà bien plus large que celle d'où elle venait : elle pouvait accueillir les douze membres de la troupe avec un espace personnel suffisamment confortable. Et encore : Narju voyait en tournant sur elle-même d'autres branches, moins larges, qui formaient des ponts vers d'autres parties plus en hauteur ou plus éloignées. Puis, levant la tête, Narju pu voir qu'ici, et ici seulement semblait-il, une trouée dans la canopée permettait de voir la nuit étoilée. De façon évidente, tout le feuillage visible qui l'entourait jusqu'à la canopée émanait de cet arbre et de toutes ses ramifications.
Son regard se posa sur la plateforme elle-même et ses yeux s'écarquillèrent : là encore des excroissances émanaient de l'arbre pour former des réceptacles à krili sur les parois et d'autres formaient au sol des sortes de dossiers sur lesquels déjà Cnovoa et ses camarades s'adossaient après s'être assises en tailleur. Ces dossiers se disposaient en cercle autour de la plateforme, tournés vers son centre. Le centre lui-même était surélevé, formant une large vasque accueillant des réceptacles à krili plus profonds cette fois. Narju comprit et sourit lorsqu'elle vit au même moment l'un des vétérans sortir de sa besace des krili améthystes chargés pour les y glisser: ce serait le four pour le repas de ce soir ! Puis Narju fut prise de stupeur : elle eut l'impression que les réceptacle s'élargissaient légèrement pour accueillir chaque cristal et se rétrécissaient ensuite en s'adaptant à leur forme. Visiblement cette impression était partagée et ce n'était pas une hallucination due à la fatigue cumulée de la marche : Cnovoa et d'autres camarades poussèrent des cris de stupeur.
Le vétéran plissa ses yeux d'un air amusé et Piuesh rit : “Jamais je ne me lasserai de la surprise de chaque novice que j'amène ici. Bien ! Visiblement notre campement est toujours là et veut toujours bien de nous. Je dois dire que bien que j'en aie entendu parler, je n'ai encore jamais vu un jimefarvkansa réellement quitter l'endroit où on l'avait laissé”. Narju n'y tenant plus lui cria : “Mais enfin, vas-tu nous expliquer tout ceci ?”. “Patience !” lui répondit Piuesh “l'heure est à la préparation du repas, je vous promets ensuite que vous saurez tout ce que vous voulez savoir”.
Son ton ne laissa pas de suite à la conversation et Narju se retint d'ajouter quoi que ce soit quand bien même l'envie ne manquait pas. Comme les autres, novice ou vétéran, elle sortit les différents fruits, herbes aromatiques, champignons, légumineuses, racines et tubercules cueillies quelques heures plus tôt et sourit en se remémorant l'émotion ressentie devant cette touche d'ingéniosité : plantées au long du sentier à des intervalles compatibles avec les étapes de la migration, pas besoin d'emporter plus que le strict minimum de subsistance, quelques galettes de xunbavmi héritées de la tradition N'Shali N'Bhali. “Si problème majeur gâtant les cultures” leur avait dit Piuesh “Et encore, elles sont séparées par lots pour éviter la propagation d'un quelconque parasite, ces espèces restent endémiques et une cueillette sauvage devrait suffire à compléter le manque et puis, au besoin, nous-mêmes vétérans restons des chasseurs valables”.
Les uns coupèrent ce qui allait être cuit, les autres pressèrent les jus de légumes et de fruits destinés aux sauces et aux boissons. Une plaque conductrice était stockée dans une alcôve, là encore visiblement due à une excroissance curieusement adaptée au besoin mais Narju rejeta le questionnement avec agacement dans un coin de sa tête, ne pouvant encore y répondre dûment. La plaque posée sur les krilis améthystes dans la vasque, elle pris rapidement une chaleur adaptée à une bonne friture. Cnovoa répartit autour du disque de généreux traits d'huile de Kosko et chacun ajouta à son goût les morceaux de son choix. La faim se faisait sentir depuis quelques heures et une fois Narju confortablement assise sur la plateforme, elle lui minait sérieusement l'estomac. D'après l'entrain de la troupe à lancer ses morceaux fraîchement coupés sur la chaleur vive de la plaque et à partager les breuvages tout juste préparés, elle n'était clairement pas la seule. Cet entrain élimina toute pensée à propos de l'arbre pour la durée du repas.
“Pas de vision d'Elyan dans la trouée de la canopée mais l'Observateur était tout juste visible, presque à l'extérieur, beau et sans que sa lumière occulte le reste du ciel…quelle splendeur !” remarqua intérieurement Narju, une fois allongée sur la plateforme, repue. Soudain elle entendit un raclement de gorge. Elle comprit que le moment était venu et se redressa sur ses coudes.
“En tant que membres novices du Zug Ginkapstani, vous n'avez pas, tout du moins à part sous forme d’œuf, effectué de migration lors de sudcitsi, la saison aride du désert” entama Piuesh, quittant sa position en tailleur pour replier ses genoux sous son bec. “Quand bien même nous ne vivons pas à Salargug, le manque d'humidité nous atteint et porte atteinte au Zug d'une façon ou d'une autre. Nous migrons alors vers la partie nord-ouest des régions montagneuses au cœur de la Jungle pour y trouver humidité et fraicheur dans les hauteurs. Notre Peuple effectue cette traversée depuis bien des saisons dit-on, bien que personne ne souvienne vraiment quand notre Zug Ginkapstani s'est constitué en se séparant du Zug Cpires, s'accoutumant peu avec les oppressantes cavernes immergées d'Itsmir et le bruit incessant du Roc des Oiseaux dans le Delta. D'où nos principaux points d'attache : la Jungle proche du Désert du Ponant et les hauteurs de la Jungle plus au sud, ce qui fait aussi de nous l'un des Zug les plus enfoncés au cœur de la Jungle. C'est dans ce cadre que les premiers membres du Zug Ginkapstani ont découvert les jimefarvkansa”.
“Jimefarvkansa, en langue sacrée, les branches qui évoluent avec. Vous avez dû vous en rendre compte lorsque nous installions les krilis ou simplement à l'allure générale des lieux : tout semble s'adapter à nous et c'est plus ou moins tout ce que nous avons compris. Le jimefarvkansa s'adapte, cohabite, coopère, prend des initiatives issues de son ressenti et de son expérience, du moins c'est ce que nous croyons. Et il ne s'adapte pas seulement à nous bien entendu mais plus globalement à son entourage. Par exemple, des membres de notre Zug ont conduit des observations sur une relation symbiotique avec certaines colonies d'insectes : observant, si tant est que cela se passe ainsi, une colonie d'insectes vivre proche de ses racines, un jimefarvkansa a étendu, en quelques sortes, des parois tout en les conservant creuses et réseautées par des galeries adaptées au mode de vie des insectes dans le sol et celles-ci semblent encore s'adapter lorsque des membres de la colonie arrivent à lui faire comprendre, à lui communiquer d'une certaine manière, généralement en commençant brièvement à grignoter le bout d'une galerie pour que celle-ci s'étende puis grignotant régulièrement pour l'orienter au fur et à mesure qu'elle s'approfondit.
- Sont-ils des êtres ratiques ?” interrogea Cnovoa avec un sursaut de surprise, “Je n'en avais jamais entendu parler !”.
- Nous n'avons jusque là pas pu le vérifier avec certitude“ repris Piuesh “Et pour cause, ce n'est pas une chose simple à faire : il faudrait constater à sa mort un revif, ce qui semble plutôt impossible dans la mesure où l'on a jamais constaté un jimefarvkansa dépérir et bien sûr, aucun membre de notre peuple n'en tuera. Une méthode plus hasardeuse mais clairement plus acceptable : reconnaître un jimefarvkansa au sein du Monde du Rêve et nos chamans s'y sont attelé à travers les âges avec plus ou moins d'implication mais jusque là, pas de résultat réellement probant.
- Faudrait-il encore qu'il ne change pas de forme au sein du Monde du Rêve” réfléchit Narju à haute voix, les yeux dans le vague.
- Tout à fait” lui répondit Piuesh, et les chamans comptent sur sa disposition à coopérer pour conserver des marques caractéristiques qu'ils créent avec lui. Dit plus simplement : on espère qu'il comprenne qu'on souhaite le rejoindre dans le Monde du Rêve. Il y a de fortes chances d'avoir croisé des êtres pré-ratiques mais pas de réelle certitude, peut-être que nos désir parlent plus là que la réalité“.
- Et cette taille Piuesh !” s'exclama Cnovoa tandis qu'un clameur d'approbation s'éleva du reste des novices.
- Oui en effet nous constatons que, partant d'un tronc, les branches s'étendent puis, comme vous pouvez l'observer de nombreuses lianes poussent avec le feuillage, certaines s'enfoncent dans le sol puis produisent des racines et deviennent ainsi de nouveaux troncs. Un jimefarvkansa peut ainsi occuper une grande surface et aussi d'une certaine manière quitter son emplacement d'origine et se déplacer s'il en ressent la nécessité, ce que j'évoquais tout à l'heure avant que nous arrivions au camp.
Il y eu un moment de flottement, comme suspendu dans le temps, tout le monde était pensif. Piuesh ferma les yeux et murmura une lente mélopée reprise en canon par deux autres novices, laissant une impression d'écho, et soutenue dans les graves par l'un des vétérans, probablement le temps de laisser tout le monde digérer ces explications. Laissant passer un mouvement avant une éventuelle reprise et profitant d'un silence, Narju demanda :
“Et les Spadzura, connaissent-ils l'existence des jimefarvkansa ? Eux pourraient peut-être bien nous répondre je pense.
- Depuis très récemment” lui répondit à droite de l'assemblée l'un des deux vétérans qui dit s'appeler Nalcio. Nalcio était plutôt grand pour la moyenne des Quetzara du Zug. D'une stature très droite, ses plumes d'un noir luisant reflétaient la lueur rougeâtre des krili noirs autour de lui. Des plumes formaient aussi une crête noire dirigée vers l'arrière sur sa tête, ses mouvements au fil de son histoire découvraient l'intérieur de ses ailes où de nombreuses tâches blanches formaient des motifs complexes entrelacés. Son bec était droit et court, quoique moins que celui de Piuesh et aussi un peu moins large.
“Pendant longtemps l'existence des jimefarvkansa est restée confinée au Zug Ginkapstani, l'espèce est associée à de nombreuses croyances dans notre Zug et il nous semble jusqu'alors l'avoir croisé lorsque nous en avons eu le plus besoin. Nos ancêtres attribuent cette rencontre à Sinam et en ont longtemps conservé le secret, même auprès des autres Zug Quetzara. Mais les temps ont changé. Après concertation avec l'ensemble du Zug Ginkapstani, je suis parti la saison passée rejoindre le Roc des Oiseaux dans le but de créer un contact avec un Spadzura si j'avais la chance d'en croiser au moins un : là-bas, toutes les espèces de ra s'y retrouvent à un moment ou l'autre de l'année et même si les Spadzura commercent relativement peu, leurs talents sont tout de même prisés, leur artisanat recherché et puis simplement ils passent tisser des liens avec les autres ra. De même, c'est aussi ici que j'ai le plus de chances d'en trouver sachant parler la langue sacrée, hormis sûrement à Natca. Que des êtres pré-ratiques existent au sein des jimefarvkansa ou que toute l'espèce soit ratique, si nous désirons le savoir, ce sont les Spadzura les mieux placés pour nous y aider. Un groupe de quatre Spadzura passait donc par chance troquer quelques jars de leur colle très prisée, j'ai donc pu les aborder pendant qu'ils se régénéraient sur l'une des barges d'accueil adaptées du Roc : ce sont des embarcations profondes et chargées généreusement de terre et d'un écosystème végétal entretenu par les déchets organiques des cuisines du Roc, elles permettent un séjour prolongé aux Spadzura de passage, le Roc n'ayant pas une once de terre ferme comme vous le savez. La description que j'ai pu faire des jimefarvkansa ne leur rappelait rien qu'ils ne connaissaient et semblait vivement les intéresser. Ils avaient besoin d'en parler avec d'autres Spadzura à travers le Khanat et notamment des tribus plus proches de la Jungle, eux venant plutôt du nord du Delta, cela afin d'être sûrs que les jimefarvkansa soient inconnus pour eux et de décider ensemble quoi faire. Nous avons convenu de nous retrouver au Roc des Oiseaux à la fin de la saison. Si tout se passe pour le mieux, nous devrions accueillir bientôt dans notre Zug, pour toute la saison au moins, des Spadzura venu observer les jimefarvkansa”.
L'effervescence était palpable autour de Nalcio. La promesse de jours passionnants pour tout le Zug Ginkapstani mettait en liesse le cœur de chacun ce soir. L'excitation commençaient doucement à redescendre et chacun sentit petit à petit la fatigue s'installer. Narju commençait à s'assoupir à son tour quand Piuesh entonna une mélopée que Narju reconnu instantanément tant elle était presque une berceuse pour chaque membre du Zug, marquant le passage au sommeil : une ode à Sinam démarrant d'abord sur un long crescendo, chaque Quetzara ajoutant sa voix l'un après l'autre, mais sans atteindre une pleine puissance vocale, chacun diminuant de volume quand un choriste s'ajoute au chœur, puis, diminuant jusqu'au chuchotement, le chant accueille Bumir afin de l'apaiser, lui donner sa place et protéger les membres du Zug Ginkapstani pendant la nuit, laissant ensuite mourir le chant peu à peu jusqu'au silence que le groupe laisse durer.
Piuesh reprit ensuite la parole : “Je pense qu'il est temps maintenant de rejoindre les espaces réservés au sommeil”, chaque branche partant d'ici et depuis la plateforme d'entrée mène à des espaces où vous pourrez étendre votre couchage, la canopée y est suffisamment fermée pour maintenir une forte obscurité. Des krilis noirs jalonnent les voies, allumez et éteignez les au gré de vos passages. Je souhaite que vous trouviez tous ici le repos, la route est encore longue jusqu'aux monts“.
Tous se levèrent et prirent leur paquetage. Narju et Cnovoa reprirent le chemin vers l'entrée puis la branche lui faisant face. La plateforme sur laquelle elles arrivèrent se révéla, après activation d'un krili noir, assez spacieuse pour quatre ou cinq couchages. Un bruissement d'eau se fit entendre dans le silence, un ruisseau devait passer en dessous non loin, “Il permettra une brève toilette demain matin” dit Narju, enjouée, à Cnovoa, celle-ci acquiesçant en retour tout en installant son couchage. Cnovoa en aura besoin comme elle pensa Narju, bien que n'étant pas de la même portée, leurs attributs physiques étaient assez similaires : un plumage très fourni en longues plumes très fines formant un duvet proéminent noir mat, une queue courte mais large, un plumage plus lisse formant une coiffe luisante, jaune-orange pour Narju, rouge pour Cnovoa, sur une tête ronde, le cou noir luisant et un court bec de forme ovale. Cnovoa avait aussi les plumes lisses descendant sur ses pattes de couleur jaune.
“Un ra ou pré-ratique nous héberge peut-être ce soir Narju, imagines-tu ?” dit Cnovoa avec une expression d'émerveillement. “Oui” répondit Narju, “Je réalise à peine…mais dis-moi, je sais que les Spadzura t'intriguent, ne voudrais-tu pas participer à la prochaine rencontre ? Tu peux demander à Nalcio si tu peux l'accompagner.
- Crois-tu qu'il accepterait une novice comme moi ?
- Bien sûr, les novices sont là pour apprendre, tu m'as déjà dit combien tu souhaites rencontrer d'autre ra et participer à la conservation des liens entre le Zug et les autres peuples.
- Oui, ce serait une excellente occasion. Tu sais quoi, je m'armerai de courage et lui demanderai demain ! Tu m'accompagneras pas vrai ?
- Bien entendu” lui répondit Narju avec un clin d'œil et un claquement sec de bec, “Sur ce, repose toi bien et reprends des forces.
- Toi de même. J'éteins le krili”.
L'obscurité s'installa en même temps que la lumière rougeâtre s'évanouissait. Les yeux de Narju s'habituaient à la pénombre. En effet, la canopée était ici bien plus touffue. Elle sourit, ferma les yeux et quitta progressivement l'éveil.