Pa le Runzatra
Journal de Ckupaj, 33 reldei 1257, Roc aux Oiseaux, Maison du kagnivo
Depuis l’inondation des galeries basses du Roc par une marée exceptionnelle il y a maintenant deux jeftu, certaines personnes au Roc ont soulevé l'idée de tenter de creuser un accès alternatif aux galeries supérieures, histoire qu'elles restent disponibles même dans ce genre de situation qui n'est probablement pas unique en son genre. Les débats ont été houleux lors de la réunion du kagnivo en raison des dangers inconnus qui pourraient se cacher dans les salles que nous n'avons pas encore visitées, mais un consensus semble émerger petit à petit : comme tout n'a pas été exploré et que ce sont justement les exploratrices qui sont les plus demandeuses, l'autorisation de creuser pourrait être délivrée aux personnes les plus motivées, c'est à dire celles qui ont les moyens techniques et financiers de faire avancer les travaux. En ce qui me concerne, je suis prête à aider par les moyens à ma disposition, même s'ils sont au final assez maigres vu l'ampleur potentielle de la tâche : le souci principal est que nous ne savons pas par où commencer, les plans des galeries établis semblant se contenter de salles basses ou alors situées au cœur du Roc. Il serait donc très aléatoire de tenter de creuser par un côté, et potentiellement très long de creuser au milieu, en partant du haut du Roc. Ce second accès sera selon moi pratique dans le futur quoiqu'il en soit, il est toujours plus aisé d'avoir des chemins variés pour se rendre dans les différentes salles, avec ou sans inondations.
Journal de Ckupaj, 33 vondei 1257, Roc aux Oiseaux, Maison du kagnivo
L'ensemble de la Maison est enfin tombée d'accord sur les modalités de l'ouverture d'un nouvel accès. L'opération consistera à creuser en partant d'un point situé sur le plateau du Roc, au-dessus de la salle la plus haute qui ait été répertoriée. Les derniers calculs sont en train d'être finalisés par un groupe de travail composé de cartographes, de géologues et de mathématiciennes afin de déterminer l'emplacement précis de ce point. Plusieurs salles artificielles devraient être creusées le long du puits de descente afin de permettre de changer d'échelle et de se reposer lorsque le passage sera emprunté, plutôt que d'en faire un trou béant vertical à destination des salles que nous cherchons à rallier. Les roches de surface sont assez dures, des explosifs seront donc employés au début. Nous espérons atteindre rapidement une roche plus tendre ou friable pour limiter les nuisances sonores pour la population, notamment celle vivant le long des parois, qui a justement choisi cet habitat pour avoir un peu plus de calme que dans la vie grouillante au pied du Roc. L'équipe de travaux initiale est en train d'être montée et équipée avec les moyens du bord, et elle devrait s'enrichir de main d’œuvre supplémentaire une fois que l'appel sera relayé sur la fréquence R.
Journal de Ckupaj, 34 cibdei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Le Minaret nous a transmis ce matin une bonne surprise de Natca : quelques ouvrières spécialisées ainsi que des outils devraient arriver prochainement de la capitale, le projet d'exploration semblant intéresser un mécène Tcara du nom de Cimazu ; je n'imagine pas qu'il se déplacera en personne sur notre morceau de caillou trempé dans l'eau saumâtre du Delta, mais sa contribution est tout à fait appréciée ; en effet, l'équipe initiale semble être composée de personnes certes efficaces dans leur domaine, mais qui, pour moi, manquent de la subtilité que j'aimerais voir à l'égard des éventuelles découvertes que nous pourrions faire : si nous n'écoutions que ces chasseuses reconverties pour l'occasion, tout sauterait à grands coups d'explosifs, selon les “méthodes ancestrales de la région”… Je pense que ces joyeuses évocations du sinmaru risqueraient de détruire des reliques d'autres Éons sans même que nous ne nous en rendions compte.
Journal de Ckupaj, 34 vondei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Les premiers coups de pioche ont été donnés afin de mettre en place les explosifs pour la première étape. J'ai dû me ranger aux côtés des chasseuses pour ce premier pas, les chances de trouver des traces d’Éons passés étant faibles si proche de la surface. L'explosion sera déclenchée demain, deux heures après le lever du soleil. Zabr sera alors à son zénith et pourra témoigner du résultat.
Journal de Ckupaj, 35 pavdei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
L'explosion a semblé faire son travail correctement : quelques tonnes de roche ont disparu dans un éclair bigarré suivi d'un grondement assourdissant puis d'une fumée noire et verdâtre. J'imagine que ces couleurs ont été ajoutées purement par plaisir par les chasseuses, mais peu importe, le résultat est là : un cratère de six mètres de profondeur pour un diamètre du double. Les géologues sont sollicitées depuis le début de l'après-midi pour tenter d'estimer les points idéaux pour continuer à creuser, si possible manuellement, ou par une nouvelle explosion si nécessaire.
Journal de Ckupaj, 36 pavdei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Après un jeftu de tergiversations et d'essais, nous avons dû nous rendre à l'évidence : la pioche ne sera d'aucune utilité pour le moment, nous devrons donc à nouveau faire appel aux explosifs, et je ne suis pas la seule que cela n'enchante pas, d'autres exploratrices faisant part de leur réticence à des méthodes aussi destructrices. L'équipe envoyée par Cimazu est arrivée hier à la tombée de la nuit avec une bonne et une mauvaise nouvelles, qui vont de pair. La bonne, c'est que l'équipe est formée d'expertes ayant enseigné à l'InfrAcadémie pendant de nombreuses années : Dontai, une historienne, Kaltef, un géologue, et Nafolia… une experte en explosifs. Ils ont pris avec eux un automate bipède à la pointe de la technologie, du genre agile comme un scoui mais fort et résistant comme un boskurji. Et la mauvaise nouvelle qui va avec, c'est que Cimazu a demandé spécifiquement à ce que le travail soit fait rapidement. Moi qui croyais avec lui avoir affaire à quelqu'un qui cherchait des trésors enfouis, je me trompais visiblement, il semblerait que ça soit la gloire rapide ; il est maintenant trop tard pour reculer malheureusement.
Journal de Ckupaj, 36 reldei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Le temps étant un facteur important dans notre entreprise depuis l'arrivée de l'équipe venue de la capitale, nous avons commencé à accélérer les manœuvres. Kaltef a identifié la zone la plus efficace du cratère et Nafolia s'est mise au travail : déjà trois explosions, et aucune n'a réveillé Dontai qui semble apprécier la sieste au soleil plus que l'histoire finalement, autant pour le soutien moral. La pierre est semble-t-il toujours aussi dure, mais il y a des éclats tranchants qui volent lors des explosions. Une protection a été mise en place pour protéger des plus gros morceaux, mais l'accès devient compliqué. L'automate sera donc mis en service dès demain matin afin d'éviter des blessures aux ouvrières.
Journal de Ckupaj, 36 cibdei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Les événements de la journée ont été éprouvants, et demain risque bien de suivre le même chemin. Je n'ai presque pas pris de repos depuis le début des travaux, mais je préfère suivre tout cela de près, surtout maintenant. Les explosions se sont enchaînées toute la journée au rythme d'une par heure. J'ai eu beau demander des interventions régulières de Kaltef et Dontai afin de vérifier ce qu'on était effectivement en train de creuser, j'ai eu droit à une fin de non recevoir. En effet, le Khan a poussé dans le même sens que Cimazu apparemment, je m'y plie donc, mais voir l'automate de Nafolia s'activer m'a laissé craindre le pire. Et le pire est arrivé en fin de journée, alors que la lumière avait déjà trop décru pour qu'on y puisse voir quoi que ce soit : l'automate a fini par se faire prendre par sa propre explosion qui était mal calibrée, il a certainement été vaporisé sur le coup. Du peu que nous ayons pu en voir depuis le sommet du puits après que la fumée se soit éclaircie un peu, il semblerait qu'une cavité ait enfin été atteinte ; il s'en échappe une forte odeur d'humus, ce qui semble étrange en cœur du rocher. Nous allons préparer une équipe d'intervention pour descendre dans le puits, probablement demain après-midi, le temps de préparer le matériel.
Journal de Ckupaj, 37 reldei 1257, sommet du Roc aux Oiseaux, camp de base des travaux
Après trois jours, nous avons enfin pu dégager les éboulis pour accéder au fond du puits. Alors que l'équipe d'exploration s'apprêtait à prendre le relais de l'équipe d'aménagement, nous avons eu une surprise qui, si je ne me trompe pas, pourrait être historique. En effet, nous avons vu l'automate arriver par les accès du bord du rocher, comme s'il arrivait de la ville basse comme tout le monde. J'ai d'abord pensé que les réseaux de galeries lui avaient permis de sortir par un autre accès, mais la réalité semble toute autre si j'en crois ce que l'automate me dit : il se serait éveillé en lisière d'un petit banc de Brume situé à une journée de marche du Roc après un Revif. Je ne suis certes pas experte en automates, mais je ne pense pas que ces appareils soient capables de mentir. Je ne peux donc que croire l'histoire de Pa, puisque tel est son nom. Il n'a apparemment pas vraiment de souvenirs de son passé, mais il sentait qu'il devait venir ici, et il connaît le nom des personnes que l'automate à côtoyé. En tout cas son apparence physique est la même que l'automate. Son numéro de série a toutefois changé : il a le numéro 000001, et Nafolia m'a certifié qu'il était différent avant l'explosion. Nous avons longuement discuté avec les ra présentes, et plusieurs hypothèses se sont formulées. L'une serait que la chaleur de l'explosion aurait pu créer des décharges dans un de ses processeurs. Une autre qu'une forme de vie présente dans la galerie (je pense à une mousse ou un champignon, vu l'odeur qui se dégageait du puits après l'explosion) aurait pu en quelque sorte prendre possession de l'automate, auquel cas il serait à présent une forme d'invocation, ou de symbiose, peut-être. Tout cela est pour le moins énigmatique et aboutira certainement à des recherches passionnantes. La nouvelle étant d'importance, une réunion de l'équipe envoyée de la capitale en commun avec le kagnivo a abouti à la décision d'en informer la capitale dès ce soir. L'équipe d'exploration partira dès demain matin avec Pa, et je suis très excitée à l'idée de visiter ces nouvelles merveilles, surtout en voyant l'effet qu'elles ont potentiellement eues sur un automate… Qui pourrait prévoir ce que cela donnera sur d'autres formes de vie pensantes, et même rêvantes ?
Journal de Ckupaj, 28 cibdei 862 dans l’Éon de la Symbiose, sommet du Roc aux Oiseaux
Voilà une trentaine d'années que je cours après mon passé. Aujourd'hui, je peux enfin ajouter quelques lignes à ce journal que j'ai retrouvé après une longue période au Dispensaire. D'ailleurs je ne sais même pas comment j'ai mis la main sur ce journal au juste. Je l'ai retrouvé dans le coffre de ma cmudza une fois sortie du dispensaire. Il est dommage que la Ckupaj de l'époque n'ait pas trouvé intéressant de préciser dans quel Éon les dates ont été marquées ; puisqu'il y a un automate, je pense qu'il s'agit de l’Éon de la Technocratie ou plus tard, mais pas dans celui de la Symbiose en tout cas. Je ne saurais dire si Pa était un cas unique, ou le premier des Runzatra ayant commencé l’Éon de la Rédemption. Mais je sais par contre qu'aucune trace de cette histoire n'est visible aujourd'hui. J'ai du mal à comprendre qu'on ne trouve aucun creux là où un énorme cratère prolongé d'un puits de plusieurs dizaines de mètres aurait dû être visible, au moins un peu. J'ai tenté de discuter avec les personnes du coin mais j'aurais pu parler d'un grain de sable particulier du Désert du Ponant, j'aurais peut-être eu plus de succès. Tout cela semble si loin… J'imagine que les Brumes ont une part dans l'effacement de cette histoire, mais je ne saurais estimer dans quelle mesure. En tout cas j'ai rencontré un Runzatra du nom de Pa habitant au pied du Roc, au cœur de la vie foisonnante des pontons. Il semble habiter ici depuis toujours, autant que sa mémoire remonte (ce qui est apparemment assez ancien pour qu'il ne puisse plus le dater précisément), et il n'a pas de souvenir qui pourraient venir d'avant son état de ra s'il en a eu un. Mon histoire a semblé éveiller sa curiosité et une forme de nostalgie pendant un temps, mais son grand âge le pousse plus vers l'Oubli que vers l'aventure d'une chasse à un passé perdu dans les Brumes. Je n'ai au final pas pu trouver ce qu'il est advenu de l'ancienne Ckupaj, ses dernières notes précédant la visite d'une grotte dont les entrées ont apparemment disparu. Ces notes sont pourtant parvenues jusqu'à moi, je pense qu'elle a donc pu en sortir, ou, plus probablement, que quelque chose a sorti ces notes. Peut-être un bog fouinant au milieu du Roc s'est-il amusé à déplacer cet objet qui lui semblait aussi étrange et merveilleux qu'inutile et, de fil en aiguille, le tout aurait été ramené au Dispensaire où j'ai fini par mettre la main dessus après un Revif demandant une réadaptation particulièrement longue. En ce qui me concerne, je pense avoir épuisé les sources d'informations possibles sur l'origine de ce journal. Il en reste une histoire qui pourra certes être racontée au coin du feu, mais je ne pense pas que le Bibliothécaire daignerait lui laisser un coin d'étagère pour prendre la poussière. Je vais tout de même la lui envoyer, sait-on jamais, des fois qu'elle fasse rêver d'autres rêveuses…