Preneur de ciel
Des pas faisant crisser la neige. Un grand silence sur toute la zone, à peine troublé par le lointain ressac et le crépitement léger des flocons tombant doucement et recouvrant les traces qui mènent à la falaise.
Enveloppé dans une couverture, tel un monolithe contemplant la nuit qui s’étend autour de lui, il reste immobile, patient. Il garde les yeux fixés sur l’horizon, attentif à des signes infimes. Enfin, il se secoue, faisant tomber la neige qui a recouvert son manteau d’un ample mouvement, puis installe un trépied, qu’il fixe avec une minutie rigoureuse.
La lueur à l’horizon devient plus perceptible, une simple luminosité émeraude qui pointe à travers la mer.
Il fixe l’appareil en haut du trépied, vérifie une dernière fois ses réglages, espérant que le froid ne va pas causer de dommage à la prise. Puis il attend, sans bouger, guettant les couleurs changeantes de l’aube naissante jouant dans les Brumes et la glace.
Le ciel se pare de draperies aux teintes légèrement vertes et pourpres, tandis que le vermeil et l’or se déversent dans l’azur. Le tableau devient éblouissant, un mélange de couleurs improbables dont seul l’homme est témoin.
Retenant son souffle, il appuie sur le bouton de l’appareil. Un petit cliquetis, puis un ronronnement se font entendre. Il ne bouge pas, il n’ose même plus respirer.
Les rayons du soleil finissent de percer la couche des Brumes, la neige reprend sa teinte originelle, le ciel revient aux couleurs du jour.
L’artiste enlève l’appareil du trépied, l’emballant précieusement pour le protéger du froid et des chocs, puis replie le trépied, et redescend d’un pas lent vers la civilisation. Dans quelques jours, il saura si le cliché, cette fois, a réussi à saisir la magie de cet instant unique.