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Cauchemar de ce qu'il m'arrive

Minuit.

Niron ne s'est pas réveillé le long d'un chemin en rase campagne, bordé d'arbres tordus dont les branches émergeant des ténèbres renforcent le côté sinistre de la grande bâtisse en bois qui trône derrière une palissade montant à mi-hauteur de ra. La clarté blafarde de la pleine lune éclaire le jardin de la demeure, dans lequel Niron rêve de quelques enfants jouant étrangement dans l'obscurité.

Il y a une explication à tout ceci, bien sûr. Aussi improbable fut-il, un évènement s'est produit. Sur les milliers d'hectares que couvre la surface des Monts de Givre, beaucoup sont perpétuellement enneigés, bien d'autres encore sont couverts de forêts de pins dont les branchages couvrent de manière impénétrable le sous-bois, et dont les épines tombées acidifient le sol de manière irrémédiable, tant de raisons pour qu'aucun klum n'y pousse. Sur la faible surface restante, les klums sont bien souvent cultivés, l'activité et la surveillance ranique éloignent de fait les auteurs de méfaits. Les contrées sauvages sont surveillées par les chamanes qui prennent grand soin que nul ne vienne apporter le trouble dans la croissance si délicate, et surtout si sensible, des klums.
Mais voilà, cet été, le chamane Parci'el avait sombré. Son apprenti était descendu dans les Plaines d'Astharie pour délivrer son ultime co'o à une amie de longue date, et n'était revenu que quelques semaines plus tard. Sa tribu Ucikara avait été très occupée à la cérémonie funéraire.
C'est pendant ces quelques jours, justement en cet endroit où poussaient des klums sauvages qui s'étaient retrouvés sans surveillance que cela s'était produit.

Le Tcara avait fui longtemps, traversant les Plaines, chassant le moindre petit animal par opportunisme pour s'en nourrir, car il savait n'avoir pas le temps de faire la fine bouche. Il avait gagné les Monts de Givre, et espérait avoir semé ses poursuivants. Mais voilà : un Runzatra bien programmé poursuit son but sans relâche, avec patience et persévérance. Et ils étaient trois.
Le Tcara avait décelé leur présence à temps pour ne pas se faire surprendre. Il s'était enfui, haletant, frémissant. Les automates le suivaient inexorablement, échangeant quelques signaux cryptés, froids comme la glace qui n'existait pas encore à cette altitude. Ils l'avaient rattrapé à quelques foulées du buisson de klums. Sa peur s'était changée en terreur quand, essoufflé, il fournit tous les efforts supplémentaires qu'il lui était possible. A la douleur de ses muscles s'ajouta soudain la souffrance d'une blessure. Un runzatra l'avait calmement mis en joue, et l'avait touché dans le dos, un peu au-dessus du bassin. Le ra s'était écroulé. Réalisant que ses jambes refusaient désormais d'obéir, il rampa misérablement, empli de désespoir. Lorsque les pieds artificiels apparurent dans son champ de vision, pour se planter juste devant lui, son angoisse était à son comble. Il leva le regard à temps pour contempler la promesse de son agonie. Les trois artificiels le tenaient en joue, et tirèrent en même temps. On dit qu'au moment de sa mort, un ra voit défiler toute sa vie devant lui. Cela en fait du temps pour souffrir le martyre d'une agonie.

Quelques jours plus tard, un jeune Ucikara vint cueillir les klums. Les automates avaient emporté le corps, comme preuve de l'accomplissement de leur mission. Les traces étaient encore visible, mais un jeune Ucikara ne cherche pas à voir ce genre d'indices. Il rapporta sa cueillette à sa grand-mère, qui prépara une délicieuse tarte aux klums avec les fruits. Sa tarte contenait les klums qui avaient été témoins du massacre, qui avaient enregistré la scène, qui avaient ressenti la peine et l'horreur et les avaient gravées au plus profond de leur chair tendre. Et cette tarte en contenait aussi d'autres. Après la coupe, les morceaux de fruit avaient été mélangés, et quelles chances y avaient-il pour qu'ils fussent rassemblés dans la même part de tarte, ces témoins de l'horreur la plus absolue ? Assez pour que cela arrive, et que la part échût à Niron, érudit de terrain, qui s'était mis en tête de venir étudier l'herboristerie des Monts de Givre.

Niron avait vite sombré dans l'inconscience, ce soir là. Et il ne s'était donc pas réveillé, il dormait encore quand il rêva de cette demeure, de ce chemin, de ces enfants qui jouaient.
Ils psalmodiaient leur comptine avec assiduité pendant que l'un d'eux sautait à la corde.
“Un, deux, Freddy te coupera en deux
Trois quatre ….
- Salut les enfants !
Cinq, six, tu seras offert en sacrifice
Sept, huit, … ”

Niron ne prêtait pas attention à ces paroles, il trouvait la situation étrange, préoccupante surtout, car il ne se souvenait pas comment il avait pu arriver ici. C'était bien trop plat pour être dans les Monts de Givre. Et puis tout ce brouillard autour … était-il allé se perdre près du Delta, ou dans les tourbières d'Itsmir ? Heureusement, un ra approchait sur le chemin, en sens inverse. Il portait un pull en poils tressés, marron rayé de noir, et un chapeau à larges bords. Sa main droite avait des doigts étrangement longs.
Alors que Niron se rapprochait, il leva le bras droit pour le saluer, mais en le ramenant un peu trop en arrière. Puis, lorsqu'il fut assez proche, Niron put contempler le visage affreusement brûlé de celui qu'il avait en face de lui, tandis que celui-ci abattait férocement sa main pourvue d'un gant de cuir muni de lames tranchantes en guise de griffes.
“HAAAAAAAAA !”
Niron s'était agenouillé pour fouiller dans son sac, esquivant de justesse le coup qui se contenta de cisailler la brume au dessus de sa tête.
“Vous ne devriez pas sortir dans cet état monsieur, attendez, j'ai là une lotion et des bandages.
- Mais ….
- Pas de mais, on se tait, et on peigne le Meh-Teh pendant que je vous applique tout cela”

Niron maintenait négligemment mais fortement le bras droit de l'inconnu contre son épaule gauche tandis qu'il faisait quelques tours avec son tissu stérilisé sur la tête du bonhomme.
“Ah vous pourriez couper le bandage ici s'il vous plait, j'ai cru voir que vous aviez des ciseaux, ça m'évitera de chercher les miens”
- couic
- Merci. Voilà, comme cela vous irez bien mieux. Non, non, ne me remerciez pas, bonne soirée, et portez vous bien !
- Mais … je suis un cauchemar ….

Niron s'éloignait déjà, torturé par le sentiment d'avoir toutefois oublié quelque chose. Les enfants continuaient à jouer, mais leur comptine avait sensiblement changé.

Un, deux, Niron t’ausculte en moins de deux
Trois, quatre, ses cataplasmes sont efficaces,
cinq, six, ….

Dans le monde des Rêves, il peut arriver des choses étranges ou terrifiantes, à tout le monde, même à un cauchemar.

“Flûte, j'ai oublié de lui demander mon chemin !”

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