Logo Khaganat
Traductions de cette page?:

Ceci est une ancienne révision du document !


Avec des amis pareils...

Une de mes très gentilles lectrices ayant pris la peine de faire des tas de critiques constructives, ce texte est à reprendre sérieusement. Je m'y mets dès que j'ai le temps, promis.

Le ra se mit en équilibre sur les mains puis, avec une maîtrise née d’une longue pratique, il glissa ses pieds sous le lourd fauteuil.
Dans un mouvement lent et fluide, il redressa les jambes et souleva le meuble massif. Il resta quelques secondes fermement planté sur ses mains, les pieds – et le fauteuil au-dessus – oscillant près du plafond, le temps de s’assurer qu’il était stable, puis il se mit à faire des pompes. Plier les bras, jusqu’à effleurer le sol avec le nez, puis les tendre. Plier les bras…
Un. Deux. Trois…

Il avait fait cet exercice un nombre incalculable de fois et, une fois lancé, Dani pouvait laisser son corps s’activer seul et se concentrer sur ses réflexions du moment.

A la suite de la découverte de Rin, qui avait quand même mis deux jours avant d’aller se confier à l’intendant, ils avaient beaucoup discuté tous les deux. Beaucoup réfléchi, argumenté, émis et rejeté d’hypothèses, et l’intendant avait fait un certain nombre d’enquêtes discrètes.
Il avait trouvé beaucoup d’indices et de preuves indirectes. Des éléments qu’il n’aurait sans doute jamais remarqués s’il n’avait pas su où, et quoi, chercher.
Mais ce n’était certainement pas suffisant pour accuser quelqu’un. Ce n’était même pas assez pour être certain de l’adversaire.
Et au fur et à mesure que l’automne approchait – et avec lui le risque que les travaux soient déclenchés dans les tunnels – Dani et l’intendant avaient fini par se résoudre à protéger l’exploitation sur le court terme.

L’intendant avait donc laissé échapper sur un canal sécurisé, mais auprès d’interlocuteurs pas tout à fait dignes de confiance, juste ce qu’il fallait pour faire croire qu’il en savait bien plus qu’il ne savait réellement. Sans se risquer à des accusations trop précises, qui auraient éventé le bluff.
Dani avait sué sang et eau pour rédiger ce texte, et le reprendre, un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce que tous deux soient satisfaits du résultat.
Et ils avaient guetté avec attention les réactions.

En vain.

Lentement, Dani fit passer tout le poids du fauteuil sur un seul pied, puis le poids du corps sur une seule main, souleva la deuxième, et reprit son exercice.
Un. Deux. Trois…

L’automne était finalement passé sans aucuns travaux dans les tunnels. Les expéditions n’avaient pas été le moins du monde perturbées, et Rin avait poussé un soupir de soulagement audible.
Kirun, elle, était restée égale à elle-même, et n’avait même pas semblé remarquer les heures supplémentaires que son aide faisait chez l’intendant. En tous cas, elle n’avait fait preuve d’aucune mansuétude le jour où il s’était à moitié endormi à la cuisine après trois nuits blanches.
En fait, pour l’ensemble de l’exploitation, le seul événement notable de l’automne avait été la boule de feu provoquée par une arme magique mal maîtrisée en plein milieu du repas.

Mais cela ne satisfaisait ni Dani, ni l’intendant.
Parce que celui qui avait ourdi ça, était toujours là, qu’il ne manquerait pas de recommencer dès que l’occasion s’en présenterait, et que la prochaine fois, ils n’auraient peut-être pas autant de chance.
Ils avaient tourné le problème dans tous les sens, repris chacun des éléments dont ils disposaient, Dani avait même proposé en plaisantant à moitié de voir ce que Kirun en pensait, et l’intendant n’avait pas été loin d’accepter sérieusement.
Jusqu’à aujourd’hui.

Le ra ramena sa seconde main au sol, changea prudemment le fauteuil de pied, releva la première main, et attaqua la dernière série de l’exercice.
Plier. Remonter. Un. Plier. Remonter. Deux…

Pendant le repas de l’après-midi, l’équipe de la cuisine avait discuté de choses et d’autres, comme à son habitude.
C’était un moment convivial, et chacun y allait généralement de sa plaisanterie, ou de son histoire glanée sur le kom. Comme celle de ce ra qui avait trouvé un trésor enfoui de façon tout à fait improbable et au moment idéal pour lui permettre de régler une dette qui devenait nettement inconfortable.
Et Zenova avait fait une remarque ironique, sur la chance que ce ra avait eu de trouver justement le document qu’il lui manquait, justement au moment où il était dans le coin, et justement alors qu’il venait de prendre connaissance d’informations lui permettant de faire le lien avec le trésor mentionné dans le document.
Cela avait déclenché des échanges passionnés sur la chance, l’influence de lakne, le fait qu’on ne parlait que de ceux pour qui ça marchait, ou les possibilités qu’il s’agisse d’un coup monté et que le ra avait su depuis le début où était le trésor.
C’était à ce moment-là que Dani avait décroché.

Et dès qu’il avait fini son service, il avait foncé chez l’intendant. Il avait à peine attendu que la porte soit fermée pour lui lancer :
« A votre avis, quelle était la probabilité que Rin tombe sur un document compromettant en se promenant dans les bureaux de l’administration des transports une fois tous les cinq ou six vodu ? »
L’intendant avait penché la tête :
« Nous en avons déjà parlé, probabiliste. Et il me semble même que nous avons réglé son compte à cette “coïncidence” à l’époque.
Pourquoi cela vous revient-il maintenant ?
- Un truc que j’ai entendu à la cuisine cet après-midi. »
L’intendant avait froncé les sourcils et Dani avait secoué la tête :
« Non. Ce n’était même pas Kirun.
Mais je me demandais si quelqu’un n’avait pas mis ce document là exprès pour nous aider… »

Lentement, l’équilibriste ramena son bras au sol et sa jambe sous le fauteuil puis, tout aussi lentement, il reposa le meuble, avant de se redresser et de redevenir bipède.
Il épongea le léger film de sueur sur ce front, puis reprit le fauteuil, se le cala sur les épaules, et entreprit l’exercice symétrique du précédent. Plier les jambes. Tendre les jambes. Plier. Tendre…

Le froncement de sourcils de l’intendant s’était accentué tandis qu’il réfléchissait à l’idée émise par son visiteur, puis il s’était radossé dans son fauteuil :
« Allez-y. Développez. »

Dani s’était mis à faire les cent pas :
« D’accord.
Nous sommes tous les deux d’accord pour dire que ce document n’était pas un leurre comme Rin l’a imaginé un moment.
D’une part, c’est trop peu pour qu’on le rende public, sans parler de lancer des accusations. Si Rin avait pu en faire une copie, je ne dis pas. Et encore…
Et d’autre part, nous avons trouvé trop d’éléments pour corroborer la thèse d’une machination. Sans parler de ce silence assourdissant après votre “fuite”. »
Les deux ra avaient échangé un regard, puis Dani avait repris son va-et-vient.

« Maintenant, si on considère le mal que nous avons eu à trouver ces confirmations. Et le fait que, même en sachant où regarder, et même en sachant à l’avance quand nous allions lâcher le morceau, nous n’avons pas réussi à savoir qui était derrière tout ça.
Ça veut dire que c’est quelqu’un de très doué. »
Il avait levé la main comme si l’intendant allait l’interrompre :
« Je sais, on en a déjà parlé aussi.
- A de multiples reprises » avait confirmé l’intendant sotto vocce.
« Et je suis d’accord que tout le monde peut faire des erreurs.
Mais voyons les choses dans l’autre sens.
Imaginons que quelqu’un ait été au courant, et ait décidé de faire capoter leur plan.
Il peut le faire directement. Ou il peut s’arranger pour que quelqu’un s’en charge à sa place.
- Ça fait beaucoup de “si”…
- Pas tant que ça… »

Dani avait inspiré un grand coup avant de se lancer.
« J’y ai pas mal réfléchi pendant mon service, ce soir.
Vous vous souvenez des suspects probables que nous avions identifiés ? »
Au hochement de tête de l’intendant, il avait repris :
« Il y avait deux maisons mineures alliées à m… au kagnivo qui gère Hoslet.
Nous les avons éliminées en considérant que celui-ci n’avait aucun intérêt à mettre ainsi en danger ses rentrées d’argent, et surtout son image.
- Vous voulez remettre en doute vos conclusions ?
- Non. Ce que je remets en doute, c’est que le kefalé ait été au courant. En tous cas, au début… »

Dani reposa le fauteuil, et entreprit une série d’assouplissements en souriant. Il n’avait pas eu souvent l’occasion de surprendre l’intendant. Bien qu’éloigné de la Cour, celui-ci avait une maîtrise des arcanes politiciens que bien des Nobles auraient pu lui envier.

La surprise de l’intendant n’avait cependant pas duré longtemps, et il s’était vite repris.
« Vous pensez qu’il l’a découvert, et que plutôt que de risquer de se fâcher avec ses alliés, il s’est débrouillé pour que leur plan échoue discrètement.
- En un mot comme en cent, oui.
- Je suppose que vous savez mieux que moi ce dont il est capable… Mais je crains que ça ne me pose la question du “pourquoi nous”… »
L’intendant avait croisé le regard de Dani, et celui-ci avait grimacé. Il ne pouvait pas vraiment en vouloir à l’intendant.
« Je ne peux pas vous garantir qu’il n’ait pas envisagé que j’intervienne.
Je peux seulement vous assurer que je n’ai reçu aucune information ou consigne. »

L’intendant avait accepté ses demi-excuses distraitement, en pianotant sur son accoudoir, déjà replongé dans réflexions :
« Je pense que vous pourriez bien avoir raison.
En fait, ça expliquerait aussi pourquoi nous avons été si opportunément informés qu’il y avait des ra pas tout à fait fiables sur ce canal… Avec le recul, c’est même une explication parfaite pour bien des choses…
Reste à savoir maintenant si le kefalé autorisera ses alliés à recommencer ce genre de manigances… »

Dani avait prudemment gardé le silence, et l’intendant avait fini par relever la tête, visiblement satisfait de ses conclusions :
« Quand vous croiserez le ra qui nous a ainsi aidés, félicitez-le de ma part s’il-vous-plaît. Il est remarquablement doué.
Mais vous pourrez peut-être aussi lui signaler, gentiment hein, qu’il a grillé la couverture du ra que votre kagnivo a eu tant de mal à placer dans mon service administratif… »
Dani avait hoché la tête et, surtout, il n’avait pas commenté sur le fait que, oui, il avait une très bonne idée de qui avait pu gérer une situation aussi tordue.
Au moment où il sortait, l’intendant l’avait hélé :
« Et merci à vous, Zelezin’i.
Même si c’est un plaisir de discuter avec vous, j’espère que vous pourrez reprendre rapidement vos fonctions à Hoslet. Ce kastron a besoin de vous. »

Dani termina ses exercices physiques et attrapa ce qu’il lui fallait pour aller aux bains.
La remarque de l’intendant le troublait plus qu’il ne voulait bien l’admettre.
Au-delà du compliment personnel, il lui semblait distinguer une certaine critique des méthodes de son kagnivo en général, et du kefalé en particulier. Mais l’intendant connaissait parfaitement les méandres et chausse-trappes de la politique : il n’aurait pas dû être choqué par ce genre de pratiques. Qu’est-ce qu’il avait discerné exactement ?

CC Attribution-Share Alike 4.0 International Driven by DokuWiki
fr/auteurs/lyne/reve_ordinaire/037.1405626548.txt.gz · Dernière modification : 2021/12/03 19:18 (modification externe)

Licences Mentions légales Accueil du site Contact