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Un nouveau printemps, un nouveau départ

Les ra cheminaient gaiement sur la vieille route du Khan en direction de Celifet.
Il faisait beau, et l’air avait perdu sa fraîcheur matinale à mesure que le soleil réchauffait les Plaines.
Dans les champs alentours, ça et là, des touches de couleurs vives s’épanouissaient lorsque quelques fleurs perçaient au milieu des jeunes pousses printanières.
Les melcipni gazouillaient en enchaînant les acrobaties aériennes dans l’immensité du ciel sans nuage.
C’était jour de fête et l’ambiance était aux rires et aux chants.

Kirun avait décrété qu’il y aurait bien assez à manger aux échoppes de Celifet, et que la cuisine ne fournirait donc que les rations de voyage pour les ra qui quittaient l’exploitation, et le minimum vital pour ceux qui n’iraient pas faire la fête.
Une bonne partie de l’équipe de cuisine avait donc eu droit à une journée complète de repos.
Et le reste, après avoir préparé les rations et nettoyé la cuisine, avait fini par rejoindre le flot des ra qui allaient à la fête du printemps.

Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient les derniers à arpenter la vieille route, ni qu’ils se pressaient particulièrement.
Après tout, rien ne pressait : la fête ne débutait jamais vraiment avant le milieu de l’après-midi.
Il fallait que les intendants procèdent au renouvellement ou au prolongement des contrats existants, de préférence dans leurs bureaux confortables autant que possible.
Il fallait que les fonctionnaires du kastron arrivent de Celifet.
Il fallait que tout ce petit monde s’installe et rédige les nouveaux accords, engagements, chartes, ou actes divers et variés qui se scellaient traditionnellement à la fête du Printemps.
Et il fallait que les ra concernés soient en état de relire le tout avant de signer… Enfin, il n’était pas absolument indispensable qu’ils puissent relire. Il fallait juste qu’ils signent. Mais la plupart préféraient quand même attendre d’avoir fini les formalités administratives pour profiter vraiment de toutes les bonnes choses proposées par les marchands assemblés.
Et, bien sûr, il fallait que les camelots montent leurs tentes et leurs échoppes.

Le petit groupe de la cuisine prenait donc son temps, chantait à tue-tête, et hélait ironiquement les branaziers qui passaient parfois d’un trot allègre.

Ils finirent quand même par atteindre Celifet, et une bonne partie du groupe – qui n’avait rien à signer – se dirigea droit vers diverses buvettes pour “nettoyer la poussière de la route” ou “réhydrater leur pauvre gosier desséché d’avoir tant chanté”.
D’autres se dirigèrent vers les étals divers, ou partirent à la recherche de connaissances.

Kirun les abandonna en souriant, et se dirigea vers la tente où seraient jugées les tartes aux klum pour y déposer sa contribution du jour.
L’un des juges y était de garde pour recevoir les produits mis en compétition, et ils discutèrent un moment de choses et d’autres.
De klum surtout, mais aussi de connaissances communes et des derniers changements survenus dans les exploitations du district.

Ils furent cependant rapidement interrompus par deux autres concurrents. Tous se saluèrent amicalement et Kirun ressortit pour laisser les nouveaux arrivants présenter leurs créations tranquillement.
Mais elle n’alla pas bien loin, avant que le premier ne la rattrape : « Eh ! Kirun ! C’est vrai ce que j’ai entendu ? »
La cuisinière se retourna vers lui avec un léger rire : « Tout à fait. Une fleur avec une vache de plume pour voler très haut. »
Son interlocuteur la regarda, perplexe : « Hein ? »
Kirun lui adressa un grand sourire et répéta : « Une fleur avec une vache de plume pour voler très haut.
- Euh… C’est quoi le rapport ?
- Je ne sais pas. Qu’est-ce qui devrait être vrai ? »
Le ra resta figé un instant, essayant visiblement de faire le lien, avant de réaliser enfin : « Oh ! Pardon. Je voulais dire, c’est vrai qu’Isnat s’en va ? »

Kirun reprit son sérieux et hocha la tête : « Oui. Cancan et lui doivent être en train de trépigner en attendant le recruteur de la Légion, à l’heure qu’il est. »
Le ra siffla entre ces dents : « Eh ben… Si on m’avait dit qu’il grandirait un jour… Ça doit te faire drôle, non ? »
La cuisinière tourna légèrement la tête vers l’estrade encore vide de musiciens, le regard soudain perdu au loin, et sourit doucement : « Le changement fait partie de la vie, et je suis heureuse qu’il ait trouvé un rêve à suivre.
Mais, oui, ça fera bizarre de ne plus avoir à anticiper ses bêtises. Je crois que je vais savourer cette sensation de calme et de sérénité pendant… oh… les trois prochaines décennies. Au moins. »

Le ra partit d’un grand éclat de rire : « J’imagine ! Mais j’aurais cru qu’il te manquerait un peu quand même. Ça fait tellement longtemps que tu t’occupes de lui.
- Oui, il me manquera. Et pas qu’un peu.
Mais ça ne m’empêchera pas de profiter des bons côtés de son absence, et de me souvenir de tous ceux de sa présence.
Et puis, ce n’est pas comme s’il partait dans les Brumes, non plus.
Et je serais très surprise qu’il ne profite pas d’une permission, un jour ou l’autre, pour venir se rappeler à notre bon souvenir. »
Le ra leva les yeux au ciel : « Que Mig nous en garde ! »
Puis il repartit vers la tente du concours : « A tout à l’heure, Kirun. On se revoie pour fêter ta victoire ! »
La cuisinière secoua la tête dans son dos, mais préféra ne pas relever, et alla voir ce que les marchands proposaient.

Comme souvent, ils ne vendaient rien de particulièrement intéressant – du moins, de son point de vue – et elle se contenta donc de déambuler dans la foule qui grossissait de plus en plus.
Elle s’arrêtait aussi souvent pour discuter ici ou là : depuis le temps, elle connaissait la plupart des résidents permanents du district et pas mal de saisonniers réguliers qu’elle croisait aux fêtes.
Et, à sa grande surprise, l’un des sujets de conversation les plus fréquents était le départ d’Isnat. Même s’il était difficile de déterminer si ses interlocuteurs tenaient à s’assurer qu’ils allaient enfin être débarrassés du trublion, ou s’ils vérifiaient juste la qualité de leurs informations.
Plus probablement la première réponse, puisque les deux premiers ra à évoquer le sujet se lancèrent ensuite dans un catalogue apparemment infini des bêtises, réelles ou supposées, du garnement. Par la suite, elle essaya donc de confirmer la nouvelle de façon aussi neutre que possible et de s'en tenir là.

La musique démarra doucement sur l’estrade, et elle s'excusa pour prendre la direction de la tente du concours.
Celui-ci allait bientôt commencer et, même si les juges n’avaient pas particulièrement besoin de la présence des concurrents, il aurait été incorrect de ne pas être présente au moins au début.
Et puis, elle aimait bien discuter avec les autres participants : tous ceux qui manipulaient les klum avaient l’habitude de certaines notions pour lesquelles elle n’avait pas particulièrement de mots, et il y avait un côté reposant à pouvoir raconter qu’on avait joué les funambules sur une odeur de klum, au hasard, sans avoir besoin de traduire ça en langage de tous les jours.

En chemin, elle aperçut entre deux tentes Isnat et Cancan qui faisaient visiblement les fiers au milieu d’un groupe de jeunes ra, et elle sourit ironiquement : ils avaient dû signer leur engagement et se prenaient déjà pour des Légionnaires.
Ils apprendraient bien assez tôt.

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