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Derniers messages

Dernier message par Lyne - 13 Novembre 2013 à 22:26:28
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Spoiler for Hiden:
J'ai mis ma vision du "vieillissement". Je ne sais pas à quel point elle est envisageable / possible / réaliste / complètement farfelue (barrer les mentions inutiles), donc n'hésitez pas à en discuter. Et à compléter l'UM1 sur le sujet  :P
« Kirun ? Y'a un ra bizarre qui te demande à la surface. »
La cuisinière tourna la tête vers l'ouvrier agricole qui l'avait interpelée : « Un ra bizarre ? Qu'est-ce que tu appelles un ra bizarre ? »
L'ouvrier haussa les épaules en se servant un en-cas : « Je ne sais pas. Ucikara, pas d'interface, habillé comme ils le sont dans les Monts de Givre, tu sais. » L'ouvrier fit un geste vague qui devait évoquer des vêtements chauds et épais. « Il doit crever avec la chaleur qu'il fait là-haut, mais il reste juste là à te demander. Je lui ai dit qu'il n'avait qu'à descendre, s'il voulait te voir, vu que tu n'allais pas lâcher la cuisine comme ça, mais il a juste dit qu'il préférait attendre dehors. Bizarre, quoi. »
Kirun réfléchit : « Bon. Merci pour l'information. » Et elle retourna vers la partie de la pièce où ses aides s'activaient.
« Tu ne vas pas voir ce qu'il veut ? » Même la bouche à moitié pleine, l'ouvrier avait l'air surpris.
Kirun se pencha sur une préparation pour la goûter : « Il a dit qu'il préférait attendre. Donc il va attendre ma pause. »
L'ouvrier la regarda encore un instant, puis il partit s'asseoir pour manger. Il n'allait certainement pas risquer de se fâcher avec la cuisinière pour un ra bizarre qu'il n'avait jamais rencontré. Mais il aurait bien aimé savoir ce qu'il voulait, ce type, quand même.

[centre:2s209zkj]***[/centre:2s209zkj]
A la pause de l'après-midi, Kirun prit sa chope, quelques gâteaux, et remonta à la surface.
C'était l'été et il faisait beau. Et chaud.
L'ouvrier avait raison : ce n'était pas le Salargug, mais il valait quand même mieux privilégier les vêtements légers. Kirun resta à l'ombre du bâtiment quelques minutes, pour habituer ses yeux à la lumière et son corps à la chaleur ambiante.
Elle en profita aussi pour repérer le visiteur, assis dans l'herbe au bord de la route. En plein soleil. Et, effectivement, vêtu pour un climat bien plus rigoureux.

Elle s'approcha et le salua poliment : « Je suis Kirun. Tu voulais me parler ? »
Le ra leva les yeux vers elle mais ne bougea pas : « Je cherche la cuisinière en chef de cette exploitation. »
Kirun s'assit à côté de lui : « Ca tombe bien, c'est moi aussi. Un gâteau ? »
Le ra fouilla dans son sac : « Pas pour l'instant, merci. On m'a chargé de vous remettre ceci. » Il tendit un enregistrement sur krili à la cuisinière. Qui regarda l'enregistrement, sa chope dans une main, et ses gâteaux dans l'autre.
Elle posa sa chope dans l'herbe, et se saisit délicatement de l'enregistrement : « Et "on" a un nom ? »
Le ra secoua la tête : « Il a dit que le nom que je lui donne ne vous dirait rien. Et que le nom que vous lui connaissez n'avait pas besoin d'être réveillé. Il a dit aussi que vous pourriez partager le message, si vous le jugiez bon. »
D'un mouvement souple, le ra se releva et remit son sac sur ses épaules.
« Ainsi me suis-je acquitté de la tâche qui m'avait été confiée. Puissent vos Rêves être agréables, cuisinière. »
Kirun se releva également, mais avec moins d'agilité, encombrée par les gâteaux et le krili : « Puissent les vôtres vous guider sur le chemin du retour, chaman. »
Le ra sourit en secouant la tête : « Apprenti, tout au plus. » Il hésita, et regarda les gâteaux : « Il a dit aussi que rien ne valait votre tarte aux klum, mais que le reste n'était pas mal quand même. »
Kirun rit et lui tendit la pile : « Je ne vais surtout pas contredire votre "il". Pour la tarte aux klum, revenez aux fêtes, et je verrai ce que je peux faire. »
L'apprenti chaman escamota les gâteaux dans une de ses poches, s'inclina une dernière fois, et s'éloigna rapidement sur la route.
Kirun ramassa sa chope, fourra l'enregistrement dans sa poche, et reprit le chemin de la cuisine. "On" disait peut-être beaucoup de bien d'elle, mais elle ne risquait pas de lire l'enregistrement avec ses doigts.

[centre:2s209zkj]***[/centre:2s209zkj]
Même si elle avait le droit de partager l'enregistrement, Kirun préféra attendre d'être rentrée tranquillement chez elle le soir pour glisser le krili dans le lecteur de son terminal.
L'image qui se forma était de mauvaise qualité, et le son ne valait pas beaucoup mieux.
Ca grésillait, ça fluctuait, ça sautait, il y avait plein de parasites. Kirun n'avait jamais vu un enregistrement aussi pourri. D'un autre côté, s'il avait été fait dans les Monts de Givre, loin de l'influence de zbasu, ça n'avait rien de surprenant.
Mais ce n'est pas ça qui lui fit figer l'image.
Elle fixa avec stupéfaction le ra qui la regardait avec bienveillance, depuis ce qui ressemblait à l'intérieur d'une hutte enfumée.
Un ra ridé, voûté, décrépi, aux yeux enfoncés dans des orbites trop grandes, à la peau flasque et tavelée, aux cheveux clairsemés.
Kirun déglutit péniblement. Elle n'avait pas besoin d'écouter la suite. Elle savait ce que signifiait un tel délabrement physique.

Tristement, lentement, elle fit repartir l'enregistrement.
La voix était hachée et rauque, le souffle court, mais elle reconnut sans peine les inflexions chaleureuses de son vieil ami.
« Coi Kirun.
Il faudra plusieurs jours, probablement même quelques vodu, à ce brave gars pour te trouver. Surtout que je n'ai pas été très généreux dans les explications.
D'ici là, j'aurai franchi le dernier pas, et retrouvé l'Oubli d'où nous sommes nés.
Je sais que tu me comprendras et que tu ne me jugeras pas. J'espère qu'il en ira de même pour ceux qui m'ont connu, il y a longtemps, dans le seul foyer où je me sois jamais senti libre. Le seul endroit où on m'ait accepté pour ce que je suis et pas pour ce que je représente.
C'est à toi que je le dois, ce foyer. Et avec lui, la force de retourner suivre le chemin que mes ancêtres et les Sages de mon clan avaient tracé pour moi. Je voulais que tu saches que c'est le souvenir de tes coups de balai qui m'a permis de tenir aussi longtemps.
Mais il est trop tard maintenant, et j'en ai assez.
Co'o Kirun. Si les Sages ont raison, je reviendrai. Et alors, je repasserai te voir et nous pourrons à nouveau parler de tout et de rien en regardant les étoiles. Mais j'espère qu'ils se trompent. Je suis fatigué. Tellement fatigué.
Puissent tes Rêves croître et embellir, Kirun. Ma bénédiction, pour ce qu'elle vaut, t'accompagne. »

L'enregistrement se termina, et Kirun resta assise, fixant le vide qui avait remplacé l'image crachotante, perdue dans ses souvenirs. Ca faisait quoi ? Cinquante ans ? Soixante ? Au moins ça...

Finalement, au bout d'un temps indéterminé, elle tendit le bras et entra une fréquence personnelle sur le kom. Ce n'était pas une bonne façon d'annoncer ce genre de nouvelles, mais elle n'avait pas envie de traverser les couloirs et de tomber sur quelqu'un qui voudrait discuter, ou pire, plaisanter.

Ceppers répondit presque aussitôt, riant à moitié : « Kirun ? T'es malade ? Qu'est-ce que tu fais sur le kom à cette heure-ci ?
- Coi Ceppers. Cem est avec toi ? »
La responsable des équipes de maintenance dut entendre la gravité, ou peut-être la tristesse, dans sa voix, car elle changea immédiatement de registre : « Elle se lave à côté. Qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai reçu un enregistrement cet après-midi. D'une vieille connaissance. Je suppose qu'il vous concerne aussi.
- D'accord. On arrive de suite. »
Kirun coupa la communication en attendant Ceppers et sa compagne. Le couple le plus improbable qu'elle ait jamais rencontré : l'ucikara qui avait quitté son clan avec perte et fracas en jurant de ne plus jamais avoir à faire à un chaman, et la tcara qui avait abandonné la Symbiose et fait le tour de tous les clans ou presque pour en apprendre davantage sur les Rêves.
Contre toute attente, ou peut-être à cause de leur relation si contrastée, elles avaient été très proches du ra qui venait de lui dire adieu. Et c'était probablement à elles qu'il avait pensé en disant qu'elle pourrait partager l'enregistrement.

On frappa légèrement à la porte, et elle alla ouvrir. Ceppers et Cem entrèrent rapidement – la seconde avait visiblement écourté ses ablutions, et avait encore les cheveux humides.
Sans un mot, Kirun relança l'enregistrement et s'écarta pour laisser ses visiteuses en prendre connaissance. La qualité était vraiment pourrie. D'où elle était, et ce n'était pourtant pas si loin, elle avait du mal à distinguer les mots. Mais elle n'en avait pas besoin. Ils s'étaient gravés dans sa mémoire et dans son cœur.

L'enregistrement se termina, et un silence pesant s'installa.
Cem finit par se retourner vers Kirun : « Tu crois qu'il a déjà ... ? »
La cuisinière hocha la tête : « Tu le sais probablement mieux que moi. Si son désir d'Oubli était assez fort pour affecter son apparence physique à ce point, je n'imagine pas qu'il ait tenu plus d'un jour après avoir expédié le message. »
Ceppers sourit sombrement : « En fait, je parie qu'il a tenu uniquement pour envoyer le message. Il savait que tu le poursuivrais dans les Brumes à coups de balai s'il partait sans te dire co'o. »
Kirun remercia Ceppers de sa tentative d'humour d'un petit sourire triste, mais le cœur n'y était pas.

Elle récupéra l'enregistrement, puis hésita : « Vous en voulez une copie ? Ca sera probablement encore pire en qualité, mais... »
Les deux compagnes échangèrent un regard, puis Cem secoua la tête : « Non. Merci. Garde-le, mais... Je ne crois pas qu'aucune de nous deux aura le courage de le revoir. » Il y avait des larmes dans ses yeux et dans sa voix.
Kirun accepta d'un signe de tête, pas convaincue de maîtriser davantage sa propre voix, et alla ranger le petit krili dans une boite toute simple. La boite où elle rangeait toute sa richesse, les souvenirs des vies qu'elle avait croisées.

Puis elle se dirigea vers sa petite cuisine, y prit une bouteille et trois verres, et revint s'asseoir avec ses visiteuses. Ensemble, elles burent en évoquant les bons souvenirs de leur ami disparu.
Quand Ceppers et Cem sortirent dans le couloir et prirent la direction de leur appartement, elles titubaient nettement. Mais elles ne pleuraient plus.

Kirun n'était pas très stable non plus, mais elle finit de nettoyer les verres et rangea la bouteille vide.
Puis elle alla se mettre au lit en souhaitant silencieusement à son vieil ami que les Brumes lui accordent cet Oubli qu'il désirait si ardemment.
Et qu'elles lui offrent une meilleure vie si elles le renvoyaient dans le Khanat.
Dernier message par Lyne - 05 Novembre 2013 à 23:42:41
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Spoiler for Hiden:
Si quelqu'un n'aime pas le tcay, il n'a qu'à se plaindre à Zatalyz. Je n'ai pas eu le temps de trouver un remplaçant acceptable au kufy. Na  :P
« Alors ? »
Kirun grimaça. L'intendant n'avait même pas attendu qu'elle soit chez elle pour l'appeler, et avait carrément préféré se poster sur son trajet. Elle se retourna vers lui : « Vous voulez vraiment discuter dans le couloir ? »
L'intendant, sans un mot de plus, se dirigea vers son bureau. La cuisinière le suivit en soupirant : elle aurait bien aimé boire un petit quelque chose après sa journée, mais elle comprenait son anxiété.
Encore que... ça ne lui donnait pas tous les droits.

Elle prit donc son temps pour s'installer confortablement dans un fauteuil en arrivant dans le bureau.
« Alors ?
- Alors je prendrais bien une tasse de tcay, merci. »
L'intendant la foudroya du regard, ouvrit la bouche, et se ravisa. Il se força à se détendre et se dirigea vers la carafe dans un coin, et dont il versa deux tasses. Il en tendit une à sa subordonnée, qui l'accepta avec grâce, en sirota une gorgée et s'adossa dans le fauteuil : « Y'a pas à dire, vous savez préparer le tcay. »
L'intendant renifla ironiquement. Tous deux savaient parfaitement que la carafe venait de la cuisine, qui alimentait l'administration quasi en flux continu. Une plaisanterie récurrente voulait d'ailleurs que le tcay ait remplacé lakne et zbasu comme énergie motrice de ce service.

L'intendant s'installa à son tour avec sa tasse.
Il se réfrénait aussi poliment qu'il le pouvait, mais il était évident qu'il bouillait de connaître l'avis de la cuisinière sur sa dernière recrue en date.
Celle-ci but encore une gorgée, autant parce que cela lui faisait vraiment du bien que pour marquer qu'elle n'était plus de service, avant de se décider à répondre : « Alors, pour ce que ça vaut, je pense que c'est un officier supérieur, ou un futur officier supérieur, qui a besoin de se savoir qu'il y a des vrais ra derrière la richesse de son kastron. Des ra qu'il dirigera peut-être un jour, mais qu'il devra aussi protéger et comprendre s'il ne veut pas se faire mettre dehors. »
L'intendant fronça les sourcils : « Supérieur à ce point là ? »
Kirun haussa les épaules : « Vous vouliez mon avis. Je ne dis pas que c'est le futur kefalé. Mais je suis prête à manger mon balai s'il ne rejoint pas le cercle de ses proches conseillers dans les années ou les décennies à venir. »

L'intendant rumina un moment l'information, et Kirun en profita pour se resservir une tasse. Elle en avait bien besoin. Former un nouveau était toujours épuisant. Ce n'était pas tant la technique, surtout s'il comprenait vite et qu'il était à peu près dégourdi, comme c'était le cas pour Dani. Non, le problème c'était de l'intégrer dans l'ensemble, le tout complexe et mouvant, que constituait l'équipe de la cuisine. Ca perturbait toujours ses sensations, ça provoquait des remous, et ça pouvait prendre un certain temps avant qu'il ne trouve sa place. Elle espérait que celui-ci serait capable de jouer suffisamment le jeu pour se fondre dans le groupe, mais s'il laissait ses habitudes de commandement reprendre le dessus, ça allait forcément faire des étincelles à un moment ou à un autre.

« Ce n'est pas que je mette en doute vos conclusions, mais il faudra probablement que j'argumente un peu plus si je dois présenter ça aux grands chefs. »
L'intendant parlait sur un ton extrêmement prudent, et Kirun eut un sourire fatigué : « Arrêtez un peu. Je ne vais pas vous manger si vous me demandez simplement de vous expliquer comment j'en suis arrivée à cette conclusion. »
Elle ferma les yeux, repassant la journée dans sa mémoire : « C'est tout un tas de petites choses, en fait. Plus une intuition qu'une vraie construction logique. » Elle avait toujours les yeux fermés, et l'intendant s'autorisa lui aussi un sourire. Kirun était bien trop proche de lakne pour montrer une quelconque déférence envers la logique, même si elle la manipulait bien mieux qu'elle ne voulait bien l'admettre. Et elle faisait la cuisine comme elle dirigeait son équipe – à l'instinct. Vu ses résultats, l'intendant n'allait pas s'en plaindre.
Apparemment indifférente aux réflexions de son interlocuteur, la cuisinière continuait : « D'abord, il se tient comme un officier. Deux pas exactement derrière son supérieur – ou vous, en l'occurrence.
Et il ne se considère pas comme un "journalier normal". Il n'est pas dédaigneux, quand il dit ça, ni méprisant. Mais je pense qu'il sait ce qu'il vaut, et c'est plus que le commun des ra. Il est même probablement assez haut pour pouvoir décider quand il peut ignorer les règles les plus courantes. » L'intendant se garda bien de signaler qu'il connaissait au moins une ra qui ignorait aussi les règles quand ça l'arrangeait.
« Ensuite, ce n'est pas grand-chose, mais... Quand j'ai remis tout le monde au boulot pour pouvoir lui parler tranquille, Zenova et quelques autres ont rigolé. » Elle haussa les épaules. « Rien de bien méchant. On dirait que ça les amuse comme des gamins quand je fais la grosse voix. Mais lui, ça ne l'a pas détendu, au contraire. Il aurait du se sentir mieux et se dire que je n'étais pas vraiment méchante au fond. Mais il s'est crispé. C'était à peine perceptible, mais... »
Elle rouvrit les yeux et regarda l'intendant. Celui-ci hocha la tête : « Je vois ce que vous voulez dire. Il a compris que c'était vous le chef, et que tout le monde suivrait votre décision sans discuter. Moi y compris, d'ailleurs, vu que je vous ai laissée complètement seule face à lui. Donc s'il ne vous avait pas convenu... »
 
Kirun médita la réponse : « Je suppose que ça se tient.
Enfin... Sinon, il se maîtrise très bien. Quand je lui ai dit que nous avions été prévenus de son arrivée » – l'intendant faillit s'étrangler – « Vous l'av... » – mais il s'interrompit presque aussitôt.
« Oui. Je l'ai prévenu. De toute façon, il s'en doutait probablement vu votre façon de débiter le salmigondis qui lui sert de nom sans trébucher sur une seule syllabe. Mais il n'a presque pas bronché. Pour un peu, je dirais même qu'il n'a pas bronché du tout. Mais je sais qu'il a été surpris. » Elle secoua la tête : « Il a un côté désarmant. D'un côté, il est horriblement transparent dans la façon dont il admet implicitement qu'il n'est pas vraiment un journalier, et d'un autre, il pourrait avoir un masque quand il s'agit de réagir à ce qu'on lui dit. »
Elle réfléchit encore un instant avant de poursuivre :
« Et ce n'est pas un ra en disgrâce. Il reste loyal à son kagnivo. Plus qu'à son boulot actuel, c'est certain, même si je pense qu'il essayera honnêtement de concilier les deux autant qu'il le pourra. » Elle ajouta à mi-voix : « En tous cas, il a intérêt à essayer. »

Elle vida sa tasse : « Voilà. C'est tout ce que je peux vous donner. Il n'est pas incompétent, au moins quand il s'agit de travailler à la cuisine ; je ne l'imagine pas en espion, même si je vous accorde que ce serait la meilleure des couvertures ; il m'a l'air honnête et pas particulièrement désagréable, même s'il peut sûrement être pénible si ses principes sont en jeu ; et il est probablement au moins aussi doué que vous pour démêler les interactions au sein d'un groupe. Après, vous pouvez toujours essayer de voir si quelqu'un le connaît à Hoslet ou à Natca. »
« Mais pourquoi nous avoir prévenus, alors ? » Visiblement, la question taraudait l'intendant.
Kirun haussa une dernière fois les épaules : « Aucune idée. Se torturer l'esprit pour savoir ce que pensent les autres, c'est votre boulot. Moi, je fais la cuisine. »
Elle se leva et reposa sa tasse vide : « Merci pour le tcay. » Puis elle se dirigea vers la porte, avant de se retourner brusquement : « Oh ! » Elle regarda un bref instant l'intendant avec ce qui aurait pu être de la compassion : « Et il ne le montre pas, mais c'est un symbiotique. »
L'intendant répondit d'un léger hochement de tête, et Kirun l'abandonna à ses réflexions.
Elle espérait ne pas s'être trompée sur le compte de Dani.
Dernier message par Lyne - 05 Novembre 2013 à 23:27:45
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Il s'appelait Ridan'i Polkur'i Fremden'i Sarvazin'i Deton'i Zelezin'i. Et encore, ça, c'était la version courte, pour les occasions pas trop officielles. La version longue était... vraiment très longue. Il en savait quelque chose : il avait dû la mémoriser depuis tout petit, et ça n'avait pas été sans mal.
Il s'était présenté sous ce nom "court" à l'intendant en arrivant, et celui-ci l'avait répété sans se tromper lorsqu'il l'avait présenté à son tour à la responsable de la cuisine. Soit il avait une très bonne mémoire – ce qui était possible – soit il avait été prévenu à l'avance – ce qui était tout aussi possible.
La cuisinière en chef, ou quel que soit son titre ici, avait écouté l'intendant réciter la litanie familière sans bouger, s'était tournée vers lui et l'avait jaugé du regard, avant de lui adresser un hochement de tête et un simple « Dani ». Ce n'était pas comme ça qu'on l'appelait à Hoslet et à Natca, mais c'était aussi bien. C'était même nettement mieux que certains des surnoms qu'on lui donnait quand il n'était pas censé entendre.
Elle s'était ensuite retournée vers l'intendant : « Il est installé ? Vous lui avez dit quoi ? »
Son ton n'était pas particulièrement respectueux, mais l'intendant ne s'en était pas offusqué : « Il reprendra la chambre de Lityo » – le  ra qu'il remplaçait, et qui devait partir d'ici quelques jours, un vodu au maximum lui avait-on dit – « et il est au dortoir des journaliers en attendant. Je lui ai souhaité la bienvenue parmi nous, » – Dani fut surpris de l'absence d'emphase sur ces mots, pas d'avertissement ou de remontrance discrète, une simple information – « et je lui ai dit qu'il était affecté à la cuisine et que vous lui expliqueriez le reste. C'est tout. »
La cuisinière accueillit la réponse d'un nouveau hochement de tête : « Je vois. Dans ce cas, je ne vous retiens pas. » Son menton indiqua la porte par laquelle il était arrivé. « Le repas de ce soir ne va pas se faire tout seul pendant que je lui explique le reste, comme vous dites. »
L'intendant avait souri, comme s'il s'était attendu à ce genre de réponse, avait lancé un salut aimable à la cantonade et était reparti comme il était venu.

La cuisinière s'était ensuite retournée vers le personnel de la cuisine, et les quelques ra attablés en train de manger ou de discuter, et avait lancé d'une voix qui portait dans toute la pièce : « Il s'appelle Dani. Il remplace Lityo. Et si vous avez des questions à lui poser, vous attendrez qu'il ait fini son service. Et vous le vôtre. »
L'avertissement était on ne peut plus clair, et personne ne s'y était trompé. Mais le plus instructif, c'était le grand sourire qu'affichaient certains des aides en s'affairant soudain à diverses tâches indéterminées. La cuisinière était peut-être d'un abord difficile, mais son équipe l'appréciait visiblement.

Elle s'était ensuite dirigée vers une table dans un coin, s'était assise et lui avait fait signe de prendre le siège en face d'elle. Dani avait obéi, en bon saisonnier face à son nouveau chef.
« Au cas où l'intendant m'aurait vraiment laissé toutes les explications, je m'appelle Kirun et je suis responsable de la cuisine. Certains m'appellent aussi le Migru, mais ils ont généralement assez de bon sens pour le faire là où je ne peux pas les entendre. »
Dani hésita à faire un commentaire ou à assurer que ça ne lui viendrait pas à l'esprit, mais Kirun n'attendait visiblement pas de réponse, car elle enchaîna sans interruption.
« Quelqu'un de ton kagnivo a pris la peine de prévenir l'intendant de ton arrivée. » Cette fois-ci, Dani eut bien de la peine à cacher sa surprise. Pas que quelqu'un ait prévenu, non, mais que la cuisinière soit au courant et, surtout, le lui annonce de but en blanc.
« Mais ce quelqu'un – qui n'a pas eu la délicatesse de laisser son nom ou son indicatif de kom soit dit en passant – a également oublié de préciser ce qu'il attendait que nous fassions de toi. En dehors du fait qu'il fallait qu'on te trouve une place bien sûr. Comme Lityo voulait partir, c'est moi qui hérite de ton auguste, ou de ton indésirable, personne. » Kirun l'observait toujours de son regard neutre. Impossible de savoir ce qu'elle pensait de cette situation, et il préféra se contenter d'un tout aussi neutre « Je vois ».
Cette remarque lui valut un sourire en coin et quelque chose qui ressemblait pour la première fois à une vague trace d'émotion. De l'ironie, en l'occurrence : « Mieux que moi, je n'en doute pas. »

Mais le sourire disparut aussitôt, et la cuisinière reprit : « Je me fiche de savoir ce qui se passe à Hoslet, et je me fiche de savoir pourquoi on t'a envoyé ici.
Ici » – son mouvement de main engloba la cuisine – « c'est mon domaine. Mes règles. En ce qui me concerne, tu remplaces Lityo. Le reste ne m'intéresse pas. Tu fais ton boulot, tu fais partie de l'équipe. Tu ne joues pas le jeu, tu dégages. C'est clair ? »

Dani réfléchit à la question. Sérieusement. Elle avait peut-être l'air d'une simple responsable d'équipe un peu bougonne dans une exploitation quelconque au fin fond des plaines d'Astharie, mais il ne doutait pas un instant de sa sincérité. Et ses échanges avec l'intendant prouvaient qu'elle avait les moyens de mettre sa menace à exécution, indépendamment des pressions du kagnivo. S'il ne faisait pas l'affaire, elle pourrait le faire renvoyer, et probablement pas que de la cuisine. Or il n'était pas question qu'il rentre à Hoslet en disant qu'il s'était fait virer.
Il leva la main et prévint – presque – honnêtement : « Je n'ai jamais travaillé dans une cuisine. »
Kirun fit un geste de la tête vers le personnel de cuisine qui s'affairait, sans pour autant le quitter des yeux : « La moitié d'entre eux non plus, avant d'arriver ici. Ce n'est pas la question. »
Il réfléchit encore un instant puis hocha la tête fermement : « Je ne connais pas vos règles, mais je suppose que si elles sont acceptables par des saisonniers normaux, alors je peux les suivre moi aussi, indépendamment de mon allégeance première. »
Kirun l'observa encore un court instant et il se demanda s'il n'aurait pas dû se contenter d'un « D'accord ». Mais elle lui tendit la main simplement : « Bienvenue dans l'équipe, alors. »
Il enlaça ses doigts dans les siens, complétant le geste traditionnel qui concluait un accord : « Merci. »
Dernier message par Lyne - 04 Novembre 2013 à 21:28:29
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« Lityo veut partir. »
Kirun hocha simplement la tête en entendant l'intendant. Même si Lityo ne l'avait pas prévenue plusieurs jours plus tôt, elle se serait attendue à la nouvelle.
Il avait connu la mort, et il croyait avoir rencontré la Douleur. Il disait ne pas craindre les Brumes ni l'Oubli. Il se sentait prêt à rejoindre l'Arène.
Bien sûr, c'était faux.
Mais certaines expériences doivent être vécues et oubliées plusieurs fois avant qu'on en apprécie vraiment la profondeur. Pour certains chemins, il faut tracer ses propres cartes, car celles des autres ne sont jamais assez bonnes, assez précises, assez justes.
Aussi, quand Lityo avait évoqué son désir de départ, s'était-elle contentée de discuter de la date et des modalités. Et de lui souhaiter intérieurement d'apprendre vite, pour souffrir moins longtemps.

L'intendant l'observa un moment, tandis qu'elle attendait patiemment la suite.
Car il y avait une suite. Et l'intendant se demandait visiblement comment l'aborder.
« Comme nous en avions déjà discuté ensemble, je lui ai donné mon accord de principe. Mais comme il a un contrat annuel, je l'ai aussi prévenu qu'il ne pourrait partir qu'à la prochaine fête de printemps. A moins qu'on ne lui trouve un remplaçant d'ici là. »
Debout, les mains croisées dans le dos, Kirun conservait son attitude d'écoute polie et patiente.
L'intendant était visiblement mal à l'aise. Quoi qu'il ait à dire, il ne s'attendait pas à ce que la cuisinière apprécie ce qu'il allait lui annoncer. Et tous deux se connaissaient depuis assez longtemps maintenant pour qu'elle lui fasse confiance sur ce point : elle n'allait pas aimer ce qu'elle allait entendre.

Un silence pesant s'installa.
Kirun aimait bien l'intendant. Il était honnête – autant que sa fonction le permettait – et bien que hiérarchiquement supérieur à chacun des employés, il savait reconnaître la compétence, ou l'importance informelle, d'un ra au-delà de ce qui était écrit sur son contrat.
Pour une fois, elle décida de ne pas lui compliquer la tâche.
Elle lâcha donc un soupir audible, et s'installa confortablement sur une chaise : « Allez-y, crachez le morceau et qu'on en finisse. Je promets de ne pas vous frapper. De toute façon, j'ai laissé mon balai à la cuisine. »

Son changement d'attitude arracha un sourire fugace à l'intendant, et celui-ci se carra dans son fauteuil : « D'accord. Le kagnivo du kefalé nous envoie un ra. Un des leurs. Il arrive d'Hoslet aujourd'hui. Je l'ai affecté à la cuisine. »
Kirun ne dit rien. Digérant l'information. Notant dans un coin de sa tête que l'intendant avait eu raison : ça ne lui plaisait pas. Pas du tout, même.
Elle finit par hocher la tête : « Je vois. En tous cas, je vois pourquoi vous avez l'air d'avoir mordu dans une farespa et pourquoi vous tournez autour du pot depuis que je suis entrée dans votre bureau. Maintenant, dites-moi pourquoi c'est sur moi que ça tombe. »

L'intendant parut soulagé qu'elle ne remette pas à cause sa décision, et Kirun retint à son tour un petit sourire. Elle avait – gentiment – mené la vie dure à l'intendant depuis qu'il était arrivé. Et elle était quasi certaine qu'il se doutait qu'elle le faisait exprès, que c'était une sorte de jeu, de test parfois. Mais il n'en était pas encore sûr, et il avait quand même craint qu'elle ne fasse des difficultés. Ça promettait encore quelques belles joutes... Enfin, quand cette histoire serait réglée...

L'intendant se pencha en avant, plus à l'aise désormais, et commença à compter sur ses doigts :
« Il n'y a pas 50 raisons pour que le kefalé nous envoie quelqu'un. Un, » l'intendant baissa un doigt, « c'est un petit nouveau, ils veulent lui faire découvrir la vraie vie, qu'il en bave un peu mais pas trop en dehors du cocon du kagnivo, qu'il apprenne à se débrouiller un peu tout seul. Dans ce cas, je peux le mettre un peu n'importe où, comme n'importe quel journalier. » Kirun et l'intendant échangèrent un regard : aucun des deux ne croyait à ce scénario. Et certainement pas avec un avertissement venu directement d'Hoslet.

« Deux, » deuxième doigt rabattu, « c'est un emmerdeur. Suffisamment prometteur et/ou protégé pour qu'ils ne puissent pas le virer, mais suffisamment pénible pour qu'ils préfèrent que quelqu'un d'autre se le coltine pendant un moment. Ça veut dire que j'ai besoin de quelqu'un pour le garder dans le droit chemin, et ne pas le laisser tout saccager autour de lui. Et quelqu'un qui n'aura pas peur de ses éventuels protecteurs. » Kirun secoua la tête : « La flatterie ne vous mènera nulle part.
- Ce n'est pas de la flatterie. On arrive en été. Les responsables d'équipe à la surface ont autre chose à faire, et c'est la rentabilité de l'exploitation pour cette année qui se joue là-haut. Les équipes ici sont un peu moins chargées pour l'instant, mais Rin, aux approvisionnements, passerait son temps à me demander de le virer, et Ceppers, à la maintenance, le rouerait probablement de coups. Ça laisse la cuisine ou l'administratif. »
L'intendant releva brièvement son deuxième doigt : « Si c'est juste un incapable, c'est exactement la même chose en ce qui me concerne. »

« Trois, » et nouveau doigt rabattu, « c'est un espion. »
Kirun ne se mêlait pas de politique, mais elle savait quand même que le kagnivo qui possédait l'exploitation, et celui qui dirigeait le kastron, n'étaient pas du même bord. Même si ses lointains patrons prétendaient ne s'intéresser qu'aux affaires et ne pas vouloir faire de politique, quand on arrivait à un certain niveau, les limites se mélangeaient. Et une maison fut-elle Noble et en charge de l'un des kastrons les plus riches du Khanat, ne pouvait ignorer ce genre de puissance montante. Placer des espions n'était que simple précaution. Placer des saboteurs, par contre... « Je suppose qu'il vous est venu à l'esprit que tous les ra passent par la cuisine. Qu'ils y discutent bien plus librement que lorsqu'ils travaillent. Et qu'ils y sont bien plus détendus et donc vulnérables. » Elle ne pouvait guère en dire plus mais l'intendant n'en avait pas besoin. Il hocha simplement la tête : « Oui. C'est pour ça que j'ai besoin de vous. Et de savoir très vite ce qu'il est exactement. »
Kirun grimaça, et retint une remarque acerbe. Mais son visage devait être éloquent, car l'intendant ajouta : « Je sais. Mais je ne peux pas prendre le risque de le garder avec moi à l'administratif. Pour le coup, c'est vraiment trop prêt des données sensibles. Et aucun des autres n'aura le temps ou la capacité de le percer à jour si besoin. » Il laissa échapper un soupir : « La vérité c'est que, dans une exploitation comme la nôtre, tous les maillons sont des points faibles à un niveau ou à un autre. Nous n'avons pas d'inutiles, ici. »

La remarque fit sourire Kirun. Et son sourire s'élargit quand l'intendant réalisa ce qu'il venait de dire. Il leva les mains en signe de reddition : « D'accord, d'accord. Je sens que je n'ai pas fini d'en entendre parler, » avant d'ajouter plus sérieusement « mais vous voyez ce que je veux dire. »

Kirun hocha la tête, reprenant son sérieux aussi : « Ça serait quand même sacrément maladroit de leur part d'attirer l'attention sur leur ra de cette façon. »
L'intendant fit la moue : « Oui et non. D'abord, ça pourrait justement être un moyen de nous faire ignorer cette possibilité. » Kirun leva les yeux au plafond, dégoûtée : « Encore des histoires de probabilistes, c'est ça ? » L'intendant continua, sans se démonter : « Ça pourrait aussi être un moyen de focaliser notre attention sur ce ra, pendant qu'un autre espion arrive par ailleurs. Voire nous pousser à le virer pour que nous acceptions ensuite le premier ra venu qui serait le véritable espion. » Kirun reporta brusquement son attention sur l'intendant : « C'est vraiment tordu, ça. »

L'intendant haussa les épaules : « J'ai vu pire. » Puis il reprit son décompte, abaissant un nouveau doigt : « Autre possibilité, il vient espionner mais pas pour nous nuire, en tous cas pas directement. Pour estimer la valeur de l'exploitation. Soit pour la racheter, soit pour avoir des arguments pour augmenter les taxes dessus. Dans ce cas, la cuisine est exactement l'endroit où le mettre. C'est là qu'il verra le moins ce que produit et ce qu'expédie l'exploitation. »
Pour Kirun, ça revenait au même. L'utilisation qu'un espion ferait des informations qu'il trouverait importait moins que le fait de lui bloquer l'accès à ces informations. Mais elle ne releva pas : l'intendant était un repenti, un tcara qui avait renoncé à la Symbiose. Mais, avant ça, il avait probablement trempé dans pas mal de trucs tordus, à Natca ou ailleurs.

L'intendant continuait son décompte : « Dernière possibilité, c'est une punition. Il a fait une grosse bêtise, ou il a voulu faire de l'ombre à un trop gros poisson, et on l'envoie en exil. Pas trop loin, pour le garder à l'œil et le récupérer éventuellement, mais dans un poste suffisamment subalterne pour lui faire comprendre qu'il s'est planté. »
Kirun pencha la tête : « Pourquoi chez nous, alors ? Et pourquoi nous prévenir ?
- Parce que s'ils le recasent plus ou moins en interne, ils ont peur qu'il y conserve du pouvoir à travers son appartenance au kagnivo. Parce qu'ils pensent que nous lui en feront baver davantage si nous savons d'où il vient ou que, au minimum, nous ne nous laisserons pas embringuer dans ses complots... »
L'intendant soupira : « Ça pourrait même être un ambitieux maladroit qu'on envoie nous espionner comme punition. »

Kirun grogna : « En gros, ce que vous êtes en train de me dire, c'est que vous n'en savez rien. Mais que s'il est dangereux d'une façon ou d'une autre, la cuisine est le seul endroit où on ait une chance de s'en rendre compte avant qu'il ne fasse trop de dégâts, c'est ça ? »
L'intendant acquiesça : « C'est ça. Et, accessoirement, avec Lityo qui veut partir, j'ai une bonne excuse pour le mettre là plutôt qu'ailleurs, sans que ça éveille les soupçons. »

La cuisinière soupira et se leva en secouant la tête : « S'il n'est pas fichu de faire à manger correctement, c'est à vous que je servirai ses horreurs culinaires. » L'intendant accepta d'un hochement de tête : il s'était attendu à bien pire en représailles.
« C'est tout ? »
L'intendant ouvrit la bouche pour dire quelque chose, et se ravisa, se contentant d'un « C'est tout. » Puis ajouta, un peu à retardement : « Si vous pouvez m'envoyer Lityo, que je le prévienne qu'il va pouvoir partir plus tôt que prévu. »
Kirun accepta la commission d'un signe de tête, sortit du bureau et se dirigea vers la cuisine, inquiète.

Il y avait une autre possibilité à la venue d'un ra du kefalé. Une possibilité qu'elle n'avait pas évoquée avec l'intendant. Ni avec personne. C'est à peine si elle osait l'effleurer dans la solitude de son esprit.
Cela faisait longtemps.
Cela faisait si longtemps.
Cela faisait assez longtemps... Forcément...
Dernier message par Lyne - 22 Octobre 2013 à 20:20:33
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La lumière de la console de kom se mit à pulser doucement, mais Kirun, allongée sur sa couche les yeux mi-clos, n'y prêta pas attention. Elle n'avait pas besoin de ce gadget pour savoir qu'il était l'heure de se lever.
Elle termina ses exercices d'étirement et de méditation, puis se leva pour continuer avec une série d'assouplissements.
Ayant terminé son rituel matinal, elle se dirigea enfin vers la console pour la passer en mode « jour ». La douce lueur des cristaux krili se répandit dans la pièce, et Kirun entreprit de faire ses ablutions avant de s'habiller rapidement.

La lumière révélait une petite chambre, dans un logement meublé simplement. L'exploitation n'était pas exceptionnellement grande pour les plaines d'Astharie, mais les employés permanents y disposaient quand même de vrais appartements pour eux et leur famille s'ils en avaient une, qu'ils pouvaient aménager à leur guise, et qui leur permettait, s'ils le désiraient, de faire une coupure avec leurs collègues quand ils ne travaillaient pas.
Les saisonniers avaient, sauf exception, droit à une chambre particulière. Les journaliers et les éventuels voyageurs de passage allaient au dortoir.  Mais ils devaient prendre leurs repas à la grande cuisine, et leurs loisirs étaient généralement partagés dans les espaces communautaires – à part ceux qui se pratiquaient par définition en chambre, bien sûr.

Malgré les années passées sur place, Kirun n'avait pas vraiment personnalisé son appartement.
Ce qu'elle y stockait était essentiellement utilitaire – des vêtements (de travail et pour les fêtes saisonnières), quelques ustensiles de cuisine pour ses jours de congés (si elle mettait les pieds dans la grande cuisine ces jours-là, elle se retrouvait à travailler comme malgré elle), un bâton de marche pour ses balades en surface, un peu de monnaie locale.
Les seules exceptions étaient quelques livres – Kirun n'aimait pas le kom et ses interfaces, ne s'en cachait pas, et préférait avoir une version physique des ouvrages qu'elle utilisait le plus – et quelques cadeaux faits par des ra, journaliers de passage ou aides de cuisine restés plus ou moins longtemps. Cadeaux simples, tels qu'on pouvait en trouver dans cette région agricole, mais dont la valeur tenait à ce qu'ils représentaient. Souvenirs d'amitiés ou de bons moments passés à travailler côte à côte.
Mais rien qui vienne d'ailleurs. Ou d'avant.

Les compagnons du Dispensaire avaient expliqué à Kirun, longtemps auparavant, qu'il y avait autant de réactions à l'absence de souvenirs antérieurs qu'il y avait d'Oublieux. Certains se mettaient à accumuler des objets, des choses matérielles pour ancrer leurs nouveaux souvenirs – ou essayer de retrouver leur ancienne vie. D'autres se concentraient sur les données immatérielles véhiculées par le kom. Certains tentaient à tout prix de laisser une trace d'eux dans la mémoire collective, plus vaste et apparemment plus durable. D'autres considéraient le passé et les souvenirs comme transitoires et ne s'attachaient plus qu'au moment présent... Il n'y avait pas de normalité. Juste une façon personnelle pour chacun de gérer ce grand vide dont il semblait être issu.
Et puis, au fur et à mesure que les Oublieux vivaient leur présent et le transformaient en passé, qu'ils mettaient plus de choses entre eux et le Dispensaire, qu'ils noircissaient à nouveau les pages du livre de leur vie, la question devenait moins importante. Et au bout de quelques années ou de quelques décennies, les ra, c'était ironique en un sens, oubliaient comment ils avaient débuté.

Mais ces notions n'effleuraient plus guère Kirun, désormais – parfaite démonstration de la dernière proposition – et elle finit de se préparer sans considération particulière sur son décor ou les causes profondes de l'ambiance dépouillée de son logement.
Ses préoccupations du moment tournaient autour de la commande qu'elle avait passée pour le repas du jour et qui avait dû arriver dans la nuit.
Elle quitta donc son appartement et, comme presque tous les matins, se figea en passant la porte. Elle fit demi-tour, alla récupérer son kom portable, et repartit en sens inverse. La relation qu'elle entretenait avec cet objet était un sujet de plaisanterie récurrent à la cuisine. Certains prétendaient même qu'elle l'oubliait dans les endroits les plus farfelus, voire dans certains plats, pour s'en débarrasser.
C'était faux. Kirun n'avait pas égaré un seul terminal portable depuis son embauche sur l'exploitation – bien que l'envie de s'en débarrasser, de préférence violemment, l'ait effectivement tenaillée un nombre incalculable de fois – mais cela faisait partie du folklore de la cuisine.
Avec un soupir quasi-inaudible, la cuisinière activa le machin et se brancha sur la fréquence locale, celle de l'exploitation, la seule sur laquelle elle acceptait de rester connectée en permanence pendant ses heures de travail : « Coi les ra, Kirun sur la fréquence. »
Puis elle se dirigea vers les réserves pour vérifier sa commande, en écoutant d'une oreille distraite les réponses des ra en poste à cette heure, et celles des accros au kom qui ne le coupaient que pour dormir... et encore.

Lorsqu'elle parvint aux réserves, une mauvaise surprise l'attendait.
Sa commande était arrivée, certes, mais pas exactement en bon état. Le ra responsable des quais de chargement et de déchargement était justement en train de s'époumoner, vraisemblablement contre l'expéditeur, sur une fréquence que Kirun ne captait pas et ne tenait pas particulièrement à capter si la moitié de la conversation qu'elle entendait était représentative.
D'un autre côté, plus la cuisinière observait le responsable, et plus elle avait le sentiment étrange qu'il en rajoutait.
Certes, les œufs écrabouillés allaient être à peu près inexploitables. Et elle allait devoir vérifier soigneusement et probablement parer la viande avant d'en faire de la farce là où elle avait plutôt prévu de belles tranches de steak ou des rôtis. Et l'expéditeur méritait de savoir qu'il avait mal arrimé et emballé son chargement et qu'il n'était pas question qu'il soit payé au prix convenu. N'empêche...
Le ra vociférant finit par couper sèchement la conversation et par se retourner vers Kirun avec un sourire d'excuse : « Ah, Kirun. Désolé. Il y a eu un problème avec ta commande. J'étais justement en train d'expliquer ce que j'en pensais au fournisseur. » Il fit un geste vague en direction du tunnel par où arrivaient les tramways.

Kirun l'observa encore un instant, avant de pencher la tête : « Tu as calculé mon temps de trajet à partir du moment où je me suis branchée sur la fréquence ? Ou tu beugles dans le vide depuis une demi-heure en attendant que j'arrive pour entendre ? »
Le ra ouvrit la bouche en regardant la cuisinière avec de grands yeux, puis il s'assit en secouant la tête avec un demi-sourire, avant de reconnaître : « Un peu des deux, j'avoue. J'ai estimé ton temps d'arrivée, et je parlais à l'annuaire de kom. »
La cuisinière éclata de rire. « S'il trouve un ra qui s'est enregistré sous le cognomen de "jrada'a édenté au poil moisi", tu auras l'air malin... »
Le ra se mit à rire aussi : « Oui. Probablement. »

Lorsque tous deux eurent repris leur sérieux, Kirun s'assit confortablement sur une chaise : « Je peux savoir pourquoi tu t'es senti obligé d'en faire autant ? Et, au passage, ne te lance jamais dans le théâtre, hein... »
Le responsable des quais fit la grimace : « C'est stupide, en fait... » Kirun leva les yeux au plafond en silence, son attitude indiquant clairement qu'elle partageait cette analyse mais que ça ne répondait pas à la question.
« J'ai entendu parler de ce qu'il s'est passé avec les peintres, l'autre jour. » Cette fois-ci, Kirun le regarda avec attention. Elle ne voyait pas bien le rapport entre le groupe de ra qui s'était battu dans la cuisine quelques jours plus tôt, et un chargement abîmé.
« Je ne voulais pas que tu penses que je ne prenais pas tes commandes au sérieux, sous prétexte que ce ne sont pas des exportations ou qu'elles coûtent de l'argent au lieu d'en rapporter. » Kirun le fixait toujours, perplexe : « Ca ne me serait même pas venu à l'idée. »
« Je t'ai dit que c'était stupide. Mais bon, je n'avais pas envie d'être exclu de la cuisine. »
Kirun secoua la tête, mi-amusée mi-contrariée : « Tu as raison. C'est stupide. Je ne te tiendrai pas pour responsable des erreurs d'un autre. » Elle marqua une pause. « Qu'est-ce que tu as vraiment dit au fournisseur ? »
Son interlocuteur hésita avant de se lancer : « Qu'il ne serait payé pour aucune des denrées inutilisables. Et qu'il ne toucherait que la moitié du prix sur ce qui était mal empaqueté mais qu'on pourra récupérer quand même. » Après une nouvelle hésitation, il ajouta : « Je n'ai pas osé lui dire que nous ne ferions plus affaire avec lui au cas où ça se reproduirait. C'est quand même aussi un grossiste important, et il nous prend une partie de notre production. Même si ça me tentait bien quand j'ai vu la façon dont certains emballages avaient été préparés. »
La cuisinière hocha la tête. Ca paraissait cohérent. Elle se leva : « Je suppose qu'il ne me reste plus qu'à mettre tout le monde au travail pour voir ce qui pourra être récupéré, alors. Vous avez tout mis dans la réserve habituelle ? » Le responsable du quai hocha la tête. « Bien. Je donnerai la liste à l'intendant quand nous aurons fini et je le laisserai se dépatouiller avec la facturation. »
Derrière elle, une voix nota, un brin ironique : « Trop aimable. »

Kirun sourit au responsable du quai, salua l'intendant qui était arrivé dans son dos, et prit la direction de la cuisine, laissant les deux ra discuter de ce qui, dans l'accident du matin, pouvait vraiment être imputé à l'expéditeur, et des réductions qui seraient donc appliquées sur la facture.
Une nouvelle journée commençait. Objectif du jour : nourrir toute la communauté locale, avec ce qu'il y avait dans les réserves... La routine.
Kirun bifurqua dans le tunnel vers la cuisine en fredonnant tout bas. Elle n'allait certainement pas l'admettre devant quiconque mais, pour un peu, elle aurait presque remercié le ra négligent ou l'automate déréglé qui avait perturbé l'ordonnancement parfait des transports du tramway. Elle adorait un peu d'imprévu, un zeste de hasard, une larme d'accidentel, un soupçon d'inopiné, un fragment de rêve dans la réalité quotidienne. Juste ce qu'il fallait pour éviter de sombrer dans l'ennui mécanique. Quelques grammes de lakne dans un monde de zbasu. Oh oui, la journée commençait bien.
Dernier message par Lyne - 15 Octobre 2013 à 23:48:00
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Le personnel de cuisine profitait du calme de l'après-midi et faisait la pause. Attablés ou appuyés à divers meubles, les ra devisaient paisiblement en buvant une chope, un verre ou une tasse de leur boisson préférée – du moins, de celle des boissons autorisées sur le lieu de travail qui avait leur faveur du moment.
L'ambiance était bonne enfant et détendue, et la conversation en était venue à tourner autour des résultats calamiteux qu'avait obtenus l'un des aides lorsqu'il avait tenté de se lancer dans le tatouage numérique. Il racontait les méandres et errances de sa formation avec beaucoup d'humour et d'autodérision, et même s'il avait probablement souffert réellement en abandonnant cette voie, il appréciait visiblement les marques de sympathie de ses collègues... et en rajoutait dans la description des horreurs qu'il avait créées.

Kirun goûtait la tranquillité de l'atmosphère autant que le contenu de sa chope, et souriait sans mot dire en écoutant les aventures des uns et des autres.
Un mouvement attira son attention : un groupe de ra venait d'entrer dans la grande salle, et elle les identifia rapidement comme les peintres qui rafraîchissaient les couleurs des bâtiments extérieurs. L'hiver avait été rude, et le printemps avait connu quelques belles averses de grêle. La peinture des bâtiments, qui datait de plus de deux décennies, avait donc commencé à cloquer et peler par plaques. Cela n'aurait pas été si grave si la peinture de l'ancien propriétaire n'avait pas été un rouge cramoisi, et si la peinture actuelle n'avait pas été un jaune pâle... On avait l'impression que les bâtiments saignaient de mille blessures, et l'intendant n'avait pas eu trop de mal à obtenir les fonds pour faire repeindre l'ensemble en urgence.
Croisant son regard, la plupart des ouvriers saluèrent poliment Kirun, et elle répondit d'un hochement de tête tout aussi courtois, tout en vérifiant par habitude qu'il y avait assez de nourriture sur les dessertes.
Le groupe de désherbeurs qui était rentré un peu plus tôt avait bien entamé les réserves, mais pas suffisamment pour justifier un réapprovisionnement.

Elle reporta donc son attention sur la conversation en cours, qui avait bifurqué sur une analyse comparée des mérites esthétiques des divers journaliers et journalières arrivés récemment. Dont quelques uns des peintres, d'ailleurs.

Un fracas métallique interrompit brusquement tout le monde.
Kirun se retourna en sursaut comme les autres pour voir un désherbeur se jeter violemment sur un des peintres. Tous deux roulèrent à terre, bientôt suivis par quelques uns de leurs collègues respectifs. Plus quelques chaises. Ceux qui ne participaient pas à la bagarre s'écartaient prudemment, emportant leur assiette au passage, ou formaient un cercle en encourageant leurs collègues.
Kirun posa sa chope sur la table, attrapa un balai et un seau contre le mur le plus proche et se dirigea droit vers les combattants. Si on pouvait appeler cette mêlée informe un combat. Même les gamins de Sovrok avaient probablement plus de technique...
Elle fendit sans ménagement le cercle de spectateurs, plantant le manche de son balai dans les cottes ou l'estomac des plus proches, qui se trouvaient être aussi – peut-être pas par hasard –  certains des plus virulents.
Puis elle balança son seau d'eau sur le fouillis de ra au sol.

Derrière elle, ses aides, qui connaissaient la technique, complétèrent l'inondation avec quelques seaux supplémentaires.
« Ca suffit ! »
Elle n'avait pas parlé très fort, mais ajoutés à l'irruption de l'eau et au balai, ces deux mots suffirent à écarter et réduire au silence les spectateurs, et à calmer la majorité des adversaires. Les deux premiers belligérants continuaient de régler leurs comptes au milieu du fouillis de membres, mais leurs voisins commençaient à retrouver la notion du monde qui les entourait.

Kirun observa encore un instant la mêlée, et asséna quelques bons coups de balai sur les têtes qui ne comprenaient pas assez vite. Et le manche n'était pas forcément pire que les brins.
« Debout ! Les peintres là, et les désherbeurs là ! Toi, toi, et toi, aidez-les à se relever. »
Le balai accompagnait les ordres, ajoutant à la ponctuation des phrases. Et les ra désignés se dépêchèrent d'obéir, relevant et séparant leurs compagnons. Même ceux qui n'avaient pas pris part à la rixe avaient l'air penaud et gêné.

Très vite, il ne resta plus que le peintre occupé à cogner la tête du désherbeur – qui avait eu nettement le dessous – par terre.
Sans s'embarrasser, Kirun l'étendit d'un bon coup de balai sur le crâne.
Puis, abandonnant les deux ra inconscients au sol, elle se retourna vers les deux groupes de ra incertains.

Lorsqu'elle parla, son ton était calme. Le balai n'était plus qu'un simple ustensile sur lequel elle avait posé ses mains.
«  Si ma cuisine n'est pas assez bonne pour vous, vous pouvez aller manger ailleurs.
Si ma cuisine n'est pas assez propre pour vous, vous pouvez aller manger ailleurs aussi.
Si ma cuisine n'est pas assez bien pour vous, je ne vous retiens pas non plus. »
Elle s'interrompit, et les passa lentement en revue.
Derrière elle, l'un des aides revint en courant, suivi de l'un des soignants de l'exploitation.
Celui-ci jaugea rapidement la situation, mais resta en retrait, attendant que Kirun ait fini.
« Mais si vous voulez revenir manger dans ma cuisine, vous devrez trouver le moyen de vous faire pardonner vos actes, vos paroles ou votre inaction d'aujourd'hui. Et maintenant » le balai reprit soudain vie en pointant la porte « Ouste ! »

Les ra se dirigèrent lentement vers la sortie. Certains tentèrent bien de se rebiffer, mais leurs voisins les firent taire et les poussèrent à avancer. Ce n'était pas le moment d'embêter la cuisinière.

Kirun fixa la file jusqu'à ce que le dernier soit sorti, puis elle se retourna et salua le soignant d'un sourire.
« Traumatisme crânien. Simple sur celui-ci » du doigt elle pointa le peintre « et multiple sur celui-là, avec probablement quelques belles complications », sa main indiqua le désherbeur.
Le soignant acquiesça simplement et commença à s'occuper de ses deux patients.
Kirun alla reposer son balai, tandis que le reste du personnel remettait de l'ordre dans la salle, puis elle empila quelques gâteaux sur un plateau, y ajouta les verres de tout le monde, remplissant ceux qui en avait besoin, et ramena le tout dans la salle, sur une table qui n'avait pas été renversée.

Il ne fallut pas longtemps pour que la salle reprenne son aspect normal, et le personnel de cuisine se retrouva vite pour finir la collation interrompue en observant le soignant qui s'activait.
Personne n'aimait les bagarres, mais une bagarre à la cuisine signifiait que la pause pouvait être prolongée : personne ne viendrait avant un bon moment. Des fois que Kirun serait d'humeur à exiler quelqu'un d'autre.
En fait, la sanction pouvait paraître dérisoire. Il y avait bien des façons de se nourrir sans passer par la cuisine. Et, dans le cas des peintres par exemple, ils seraient partis vers un autre chantier bien avant de les épuiser toutes.
Mais... Mais chaque année, quelques ra se faisaient exclure de la cuisine. Et chaque année, ils faisaient des pieds et des mains pour revenir dans les bonnes grâces de la cuisinière. C'était comme ça. Même Hisnat, qui était réputé pour ses blagues d'un goût douteux, avait toujours pris soin de ne pas dépasser cette limite.
Un jour, l'intendant avait posé la question à Kirun, et elle avait simplement haussé les épaules en disant que ça devait être la magie de son balai. L'intendant n'avait pas insisté.

Le soignant avait rapidement ausculté le peintre, mais il connaissait le balai de Kirun, et il préféra se concentrer sur le désherbeur, s'assombrissant à mesure que son observation se prolongeait. Il finit par se relever, et se tourner vers la cuisinière : « Je sais que vous n'aimez pas la magie de zbasu, mais il est trop près des Brumes. »
L'interpellée acquiesça simplement : «  Faites ce que vous avez à faire. »
Visiblement soulagé, le soignant revint vers son patient, et se lança dans une incantation complexe.

Les ra assemblés le regardèrent faire en silence.
Le résultat n'eut rien de spectaculaire. Le sang ne disparut pas, et les blessures superficielles, moins graves, ne changèrent pas non plus. Mais le saisonnier ouvrit doucement les yeux en grimaçant : « Ouh.... ».
Il tenta de bouger, essayant instinctivement de vérifier qu'il restait bien tous ses membres, mais le soignant lui posa une main ferme sur la poitrine pour le maintenir allongé : « Pas de ça. En tous cas, pas tant que je n'ai pas soigné le reste. »
Puis il commença à sortir divers baumes, onguents, atèles et bandages du sac qu'il avait amené avec lui. Observant sa fatique évidente, Kirun fit signe à l'un de ses aides et l'envoya préparer un bon remontant.
Même si l'enchantement était loin d'avoir soigné toutes les blessures du ra, zbasu – pas plus que lakne, d'ailleurs – ne donnait rien gratuitement. Le soignant aurait bien besoin du cordial après une telle dépense d'énergie.

Le désherbeur continuait de grimacer et de gigoter. Peut-être les soins étaient-ils douloureux – après ce qu'il venait de subir, c'était probable – ou peut-être essayait-il de repérer son adversaire. Mais cela ne facilitait pas la tâche du ra qui s'activait à son chevet.
Kirun finit pas poser sa chope et, sans bouger de son siège, lâcha : « Au lieu de te tortiller comme un curnu, si tu m'expliquais ce que tout ceci signifie. »
Le blessé se figea. Il ne pouvait pas voir la cuisinière dans la position où il était, mais il n'en avait pas besoin. Le soignant grommela quelque chose entre ses dents. Visiblement, la raideur soudaine de son patient ne le satisfaisait pas plus que ses trémoussements précédents.
« C'est lui qui a commencé... »
Hisnat aurait pu expliquer au ra qui gisait par terre que ce n'était pas, mais alors pas du tout, une bonne méthode de défense face à Kirun. Peut-être l'avait-il fait. Ou, plus probablement, le ra s'en rendit-il compte tout seul. Il essaya de passer la langue sur ses lèvres fendues, et tenta une autre approche : « Quand j'étais à Jipety, » – Kirun identifia le nom d'une autre localité agricole, située près du Tsari'e – « je vivais avec une ra. Elle s'appelait Ilen. Elle avait les cheveux verts. Et des yeux... Je me perdais dedans. Et quand elle riait, c'était comme si les Brumes se déchiraient et que le monde devenait soudain plus lumineux. Je n'ai jamais fait de rêves aussi beaux qu'avec elle. » Le ra s'interrompit, perdu dans ses souvenirs, jusqu'à ce que la douleur le fasse à nouveau tressaillir. « Nous étions fou amoureux l'un de l'autre. Jusqu'à ce que ce... ce... », il se reprit juste à temps, car il n'aurait probablement pas utilisé un mot admis en société, « ce ra débarque et me la vole ! Comme ça. Juste pour s'amuser. Et qu'ils me plantent là comme une vieille coturne toute moisie... » Difficile de dire si les larmes qui perlaient aux yeux du ra étaient dues à la douleur présente, ou à la frustration de l'amoureux éconduit d'alors.

Kirun secoua la tête : « Et donc, tu t'es dit que tu pourrais retrouver ton bonheur passé en te faisant massacrer par celui avec qui ta dulcinée était partie il y a 40 ans. »
Certains des aides grimacèrent au ton caustique de sa voix. La cuisinière pouvait faire preuve de  compassion parfois, mais on ne badinait pas impunément avec la bonne tenue de sa cuisine.
Le désherbeur resta silencieux un moment, avant de concéder : « Ça a l'air tellement stupide, dit comme ça. »
Kirun se releva en soupirant : « Ça l'est. Crois-moi. Allez, tout le monde, au boulot. On a un repas à préparer. » Le personnel de cuisine se dépêcha de ramasser verres et miettes de gâteaux, et chacun se dirigea vers son poste. Kirun resta encore un instant à observer le soignant qui aidait le désherbeur à s'asseoir et à s'adosser au pied d'une table, avant de s'occuper du peintre toujours inconscient : « Tu peux te rêver un passé différent si ça t'amuse. Certains prétendent même que, pour certaines choses, c'est plus efficace que de vivre le présent ou d'essayer de rêver un avenir spécifique... Mais, à moins que tu ne sois bien meilleur rêveur que pugiliste, je te conseillerais quand même plutôt de te concentrer sur ton futur. A commencer par savoir où tu vas manger en sortant de l'infirmerie. »
Puis, elle aussi partit prendre son poste.
Dernier message par Lyne - 25 Septembre 2013 à 21:59:38
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Avant de s'endormir, l'apprenti chaman avait eu le réflexe de protéger ses rêves. Aussi près des Brumes, c'était indispensable. A moins d'être un Brumaire, bien sûr, mais mieux valait ne pas évoquer cette secte honnie.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il réalisa qu'il avait bien fait : malgré ses précautions, il était en léger déphasage onirique, comme désorienté, engourdi.
L'environnement immédiat ne semblait pas dangereux – après tout, les Brumes présentaient un danger pour toutes les créatures, qu'elles sachent rêver ou non, et peu de prédateurs osaient s'en approcher. Le jeune ra prit donc le temps de se rephaser avec le monde qui l'entourait, avant de se redresser.

Il s'étira, puis fit quelques mouvements d'assouplissement avec une grimace de douleur : le dépho n'était probablement pas la seule cause de sa raideur. Il avait sûrement rattrapé d'un coup plusieurs de ses nuits d'effort sans sommeil sur le chemin. Ce qui expliquait aussi sa faim de claden.
Il vérifia la position de la Mer, constatant qu'elle avait repris possession de la grève au pied des falaises, et décida qu'il était suffisamment à l'abri pour s'octroyer un vrai repas.

Dans les jours qui suivirent, l'ucikara observa la Mer et explora les environs proches. Il vit d'autres objets échoués, parfois très différents et parfois très ressemblants avec celui qu'il avait ramassé – et qu'il conservait précieusement dans son sac – mais il résista à l'impulsion d'aller les chercher.
Des bribes de légendes et d'histoires lui étaient revenues, et il pensait qu'il s'agissait là de fragments de rêves. Comme les sculptures étranges prises dans le givre. S'il l'avait osé, il se serait même débarrassé de celui qu'il détenait désormais, mais on ne pouvait pas plus jeter un rêve que le détruire. Pas sans tout un tas de précautions, en tous cas. Il lui fallait donc supposer que ce rêve l'avait choisi pour le porter plus loin.
Il espérait que ça ne serait ni trop loin, ni trop long.

Il apprit aussi à distinguer les variétés de plantes – ou fallait-il dire d'algues – sur la plage.
Certaines ressemblaient à des mousses, et rampaient sur les rochers et les blocs. D'autres, comme celles qu'il avait examinées le premier jour, se déployaient au bout de longues racines – à moins que ce ne soit des tiges... Ou des lianes...
Certaines étaient toutes en longueur, certaines formaient d'étranges outres, certaines s'enchevêtraient sur elle-même au point qu'on ne savait plus où était l'extrémité...
Toutes avaient en commun de s'agripper à un support comme si leur vie en dépendait – ce qui était peut-être bien le cas, si on considérait leur environnement.

Au bout de quelques jours, le ra dut se rendre à l'évidence. Il ne trouverait pas ce qu'il cherchait ici. Il allait devoir s'éloigner du canyon au-delà de la limite qu'il s'était fixé jusqu'à présent. Celle qui lui garantissait, à peu près, de pouvoir rentrer avant de se faire rattraper par la Mer.
Les mouvements de celle-ci ne semblaient pas tout à fait réguliers, mais il avait repéré de grandes tendances, et des périodes plus ou moins propices. En tous cas, il l'espérait.

Le lendemain, quand la Mer commença à refluer, il rassembla ses affaires – y compris son fragment de rêve – et se mit à longer la falaise sur sa gauche d'un bon pas.
Tandis qu'il avançait, ses yeux allaient de la falaise à la Mer, et vice-versa. Il lui fallait absolument trouver un nouvel abri avant que les Brumes ne le rattrapent.

Lorsque la nuit tomba, il marchait toujours. La Mer avait commencé à remonter et il estimait qu'il lui restait à peine quelques heures avant qu'elle ne le rejoigne lorsqu'il aperçut une formation étrange dans la falaise.
C'était difficile à estimer dans la faible luminosité, mais l'entrée d'une grotte semblait déboucher bien au-dessus de la limite habituelle des Brumes, et il lui sembla discerner une sorte de chemin, un passage érodé qui y grimpait.
Il se rapprocha et constata que, effectivement, l'accès était praticable, moyennant quelques acrobaties.
Sans hésiter, il entreprit l'ascension. L'abri avait l'air à peu près sûr, et le serait en tous cas bien plus que la plage lorsque la Mer l'aurait recouverte.

Le fond de la grotte se prolongeait en un tunnel qui se ramifiait rapidement, mais l'ucikara préféra ne pas s'y enfoncer. Même pendant son séjour dans l'enceinte policée et contrôlée de l'InfrAcadémie, il n'avait jamais été à l'aise avec le monde souterrain de Ratmidju.
Il s'installa donc à l'entrée de la grotte pour surveiller la progression des Brumes.

Lorsque le jour vint enfin, la Mer était toujours là, ondulant paresseusement en contrebas de la grotte.
De son poste d'observation, le ra distinguait mieux les courants qui la traversaient, et la multitude de couleurs qui l'animaient. Il observa un moment les écharpes qui se déployaient lentement à l'assaut de la falaise et retombaient bientôt en tentacules informes dans la masse qui les avait vu naître.
Rassuré sur le fait qu'il était hors d'atteinte, il laissa son regard errer plus loin. Vers le large.
Les nuages devaient s'être lassés, ou alors ils avaient renoncé à faire concurrence au moutonnement éternel de la Mer, et ils commençaient à se désagréger. Le soleil déposait quelques taches lumineuses sur les vapeurs, comme des taches sur le pelage d'un Glourf.
Le ra les suivit des yeux un moment, admirant les reflets qui naissaient sous la caresse du soleil, les doigts de vapeur qui se tendaient parfois dans les colonnes de lumière, comme pour mieux profiter de la chaleur.

Soudain, il se redressa d'un bond, plissant les yeux pour mieux discerner au loin.
Le soleil éclairait deux formes plus sombres qui semblaient flotter au dessus de la surface. A moins qu'il ne s'agisse d'une forme et de son ombre...
Lorsque la tache de lumière se déplaça, l'une des ombres disparut en effet, mais la silhouette principale resta là, immobile au-dessus des Brumes.
Le ra n'osait pas la quitter des yeux, tentant de discerner des détails malgré la distance.
Puis il aperçut une autre forme en lévitation, dans une autre tache de lumière. Et une autre encore. Il ne put retrouver la première, mais plus il contemplait la surface lointaine de la Mer, et plus il voyait de ces... choses étranges, qui flottaient paisiblement, comme un troupeau de branaz paissant les prés de blasas.
Jamais il n'avait entendu parler de ça. Comment avait-il pu les rater jusqu'à présent ? Elles devaient être énormes pour être visibles de si loin. Étaient-ce des animaux ? Il n'aurait jamais cru que des êtres vivants puissent vivre ainsi, près des Brumes, mais il avait vu les plantes qui survivaient marée après marée.

Les yeux toujours fixés sur le spectacle extraordinaire déployé devant lui, le jeune ra fit un pas de côté pour essayer de mieux voir, et se prit le pied dans le fragment qu'il avait extrait le premier jour. Surpris, il vacilla, tenta de se rattraper, et réalisa trop tard qu'il était vraiment très près du bord de la grotte.

Les Brumes étouffèrent le bruit de son corps lorsqu'il s'écrasa au pied de la falaise.
Nul ne sait ce qu'il advint du rêve inachevé qu'il avait arraché à la Mer et qui venait d'y retourner.
Dernier message par Lyne - 25 Septembre 2013 à 21:59:05
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Pour la première fois de sa mémoire, l'apprenti contemplait la Mer des Brumes.
Il avait déjà vu les Brumes ailleurs, bien sûr. Et il avait souvent entendu parler de la Mer.
On lui avait dit les reflets changeants, les mouvements paresseux mais implacables, les lents remous et les tourbillons profonds, les flux et les reflux, les brusques envolées et les écharpes comme égarées au ras du sol, l'immensité sous le ciel et les écueils qui en dépassaient parfois, les épaves échouées et les rêves qui s'y perdaient ...
Il avait même vu, pendant sa période à l'InfrAcadémie, des images de Fen'is Taer. L'île légendaire au bout du Khanat. Le poste de garde le plus avancé des ra faces aux Brumes.

Mais rien de tout cela ne pouvait donner la pleine mesure de la Mer des Brumes.
Et le ra qui s'était avancé jusqu'à la bouche du canyon fixait l'étendue au pied des falaises, comme un autre ciel sous les nuages.

Il était trop bas pour vraiment discerner les flux dans la masse. Il aurait fallu pour cela qu'il soit là-haut, au sommet du canyon. Mais il voyait quand même les mouvements à la limite.
Au bout d'un moment, il réalisa que la Mer refluait : elle s'éloignait des falaises, découvrant à leur pied une grève irrégulière, de sable, de graviers, de cailloux, de rocs, et de blocs de toutes tailles.
Et dans ce chaos minéral, on distinguait, contre toute attente, des taches de couleur. Des plantes.
Impossible de dire, à première vue, si elles avaient été abandonnées là par le reflux, ou si elles s'étaient ancrées sur la plage et résistaient aux marées, ré-émergeant à chaque retrait des Brumes.

L'ucikara s'avança prudemment le long des falaises. Il avait été, très fortement, mis en garde contre le piège que les murs abrupts représentaient en cas de retour rapide de la Mer.
Il garda donc un œil sur les mouvements paresseux, et pour l'instant quasi incolores, des Brumes, en se penchant pour étudier les plantes.
Il n'en avait jamais vues de semblables, mais elles étaient visiblement ancrées à la plage. Pour certaines, la notion d'ancrage était même renforcée par le fait que ce qui ressemblait à une plante plus ou moins "normale" poussait au bout d'une longueur parfois impressionnante de racines, elles-mêmes enroulées autour, voire dans les fissures, de blocs de taille non négligeable.
Le ra observa à nouveau la Mer qui s'éloignait, cherchant à discerner d'éventuelles formes flottant dans ses remous. Mais même incolores, les Brumes gardèrent leur secret, et il continua donc sa progression.
Ces plantes, aussi fascinantes soient-elles, n'étaient pas le but de sa présence en ces lieux.

Tout en continuant d'avancer, l'apprenti se sentait de plus en plus mal à l'aise. Certes, la Mer reculait. Mais il s'éloignait aussi de plus en plus de l'abri relatif procuré par la bouche du canyon.
Il finit par s'arrêter, incertain.
Les Brumes s'était suffisamment retirées pour qu'il devienne difficile d'estimer leur direction. Il les fixa un long moment, essayant d'estimer la quantité de côte dégagée, et si celle-ci diminuait ou non.
A la recherche de points de repère, il finit par repérer une forme étrange. Peut-être à mi-distance entre la falaise et la ligne mouvante.
Il jaugea une dernière fois la distance, repéra bien l'entrée du canyon, puis il se précipita vers la forme aussi vite qu'il le pouvait.
Les Brumes semblèrent frémir, mais peut-être n'était-ce qu'une impression causée par l'effort. Arrivé devant l'objet, il resta stupéfait par sa complexité : il n'aurait pas été surpris si on lui avait dit que la Crypte contenait ce genre de choses. Long comme son bras, moitié moins large, et épais d'une main, il ressemblait vaguement à un cercle au bout d'un bâton. Un cercle et un bâton sur lesquels auraient poussé des centaines de petites pattes régulières. Soudain inquiet d'un possible retour de la marée, il le dégagea rapidement – il lui suffit de tirer un peu dessus – et se retourna pour filer aussi vite que ses jambes le lui permettaient.

Il chercha la bouche du canyon et finit par la repérer. Bien plus loin qu'il ne l'avait pensé.
Il prit néanmoins cette direction à toute vitesse. De toutes façons, les autres options se résumaient à la Mer ou aux falaises abruptes, et aucune n'était satisfaisante.
Il courait de toutes ses forces, mais son butin l'encombrait. Plusieurs fois, il trébucha, et ne reprit sa course qu'au prix d'un effort désespéré.
Il n'osait pas se retourner pour voir la réaction des Brumes à son larcin. Il se concentrait sur son but. Espérant de toutes ses forces réussir à atteindre le canyon sans être rattrapé.
Quand il y parvint enfin, il continua sur sa lancée jusqu'au coude de la falaise.
Haletant, épuisé, il se retourna enfin, n'osant croire qu'il avait survécu.

La Mer était là où il l'avait laissée. Peut-être même un peu plus loin.

Il regarda l'objet qu'il avait ramassé. Doutant de sa réalité. Se demandant s'il n'avait pas rêvé l'avoir pris. Mais la forme étrange était là, bien tangible sous son bras.
Il le contempla encore un moment, se demandant ce qui avait bien pu lui prendre de ramasser ce truc qui n'était pas ce pour quoi il était venu. Et de s'enfuir ensuite comme un branaz paniqué.
Il finit par se laisser glisser contre un bloc, terrassé par les fatigues du voyage et ces dernières émotions, et par s'endormir. Serrant contre lui l'objet aux innombrables pattes minuscules.
Dernier message par Lyne - 25 Septembre 2013 à 21:58:38
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L'ucikara avançait lentement dans la vallée, serpentant dans la neige entre les énormes blocs de pierre qui avaient roulé des falaises environnantes.
Il lui avait fallu plusieurs jours avant de trouver un chemin pour rejoindre le fond de ce que, sur d'autres mondes, on aurait appelé un canyon. Et encore, "chemin" était une description optimiste. Il s'agissait plutôt d'un endroit où les parois étaient un peu moins abruptes, où d'étroits paliers pouvaient arrêter la chute avant que la hauteur ne devienne mortelle, où les ponts de neige tenaient juste assez longtemps avant de s'effondrer dans l'abîme en contrebas. Le jeune ra ne pourrait pas rentrer par là.
Mais pour l'instant, le retour était de toutes façons exclu : pas question de faire demi-tour avant d'avoir atteint son objectif. Pour une fois, le vieux chaman avait été clair quant à ce qu'il devait faire.
Même si ses indications de direction avaient été aussi désespérément vagues que d'habitude.

Et l'apprenti avait donc quitté son clan et pris la direction, grossièrement, de la Mer des Brumes.
En plein hiver.
A travers les Monts de Givre.
La descente n'avait été que la dernière épreuve en date, et il guettait avec une certaine appréhension l'apparition de la suivante.

Il avait emmené tout un stock de viande séchée, et de puissantes potions qui l'aidaient à lutter contre le froid et l'absence de sommeil. Car il n'était pas question de dormir dans cette région : si le froid ne tuait pas le voyageur solitaire, les prédateurs s'en chargeraient. Et mourir signifiait devoir reprendre le trajet depuis le début. Ou pire, perdre un temps précieux à s'extraire sans dommage du Monde du Rêve.

Il avançait donc, d'un pas qu'il tentait de conserver régulier, vers la bouche du canyon. Avec l'espoir qu'il déboucherait bien au niveau de la mer des Brumes, et pas sur une nouvelle falaise.

Malgré la fatigue, physique et morale, de la longue marche dans le froid, le ra constata bientôt quelques changements encourageants.
Le plus frappant apparut lorsque le soleil parvint à percer le voile de nuage, un instant avant de plonger derrière le sommet de la falaise. Dans le rayon de lumière timide qu'il laissa tomber au fond de la vallée, les arêtes des congères scintillèrent d'une myriade d'aigrettes vertes et roses.
Puis, tandis que l'apprenti continuait sa progression dans la nuit, l'épaisseur de neige diminua lentement. Et lorsque le matin revint, pour autant que la pénombre causée par l'association des nuages et de l'ombre du canyon laissa deviner le retour du jour, elle ne se présentait plus que sous la forme d'un mince tapis.
Un mince tapis irisé, percé par endroit d'étranges sculptures de givre, dont les plus grandes lui arrivaient au genou.
Le ra continua sa route, s'obligeant à ne pas accélérer malgré ce signe sûr de la proximité des Brumes : on disait dans les Montagnes, que ces formes étaient des échos de rêve que le froid avait emprisonnés. Et qu'on ne les détruisait qu'à ses risques et périls. Il importait donc de faire attention où l'on posait les pieds, dans ces régions.

Lentement, inexorablement, le ra avançait au fond du canyon, les yeux fixés sur le terrain juste devant lui.
Et, au bout d'un temps indéterminé, la neige et les concrétions de givre disparurent complètement.
Le voyageur releva donc les yeux pour regarder au loin, et se figea, anéanti. Au bout du canyon, il ne voyait pas la mer, mais une autre falaise dressée vers le ciel. Fermant hermétiquement la route.

Il s'assit au sol, le regard fixé sur la paroi, tentant d'y discerner une fissure, un passage. Un indice. Quelque chose. N'importe quoi. La Mer des Brumes était là, toute proche. C'était elle, bien plus que la perte d'altitude, qui tenait le froid à l'écart. Elle qui avait libéré les échos de rêves qu'il avait vus plus haut. Il sentait même dans son dos les légers picotements que provoquait toujours chez lui la proximité des Brumes. Mais se retrouver bloqué, comme ça. Aussi prêt du but.

L'apprenti chaman inspira lentement, et expira tout aussi lentement. Deux fois. Puis il ferma les yeux, tentant de trouver lakne. De s'ouvrir aux champs des possibles. Avec précaution, il traça dans l'air devant lui les glyphes invisibles du sort qui lui montrerait une route, si possible la plus sûre, pour atteindre son but. Mais le sort ne sembla pas fonctionner. Tout ce qu'il obtint en retour, ce fut la confirmation que la Mer était là, devant lui, toute proche.

Abattu, le jeune ra resta un moment assis. Puis, décidant qu'il n'avait plus rien à perdre, il reprit sa route vers l'aval. Vers la falaise qui le séparait de ses espoirs.

A mesure qu'il marchait, il prit conscience que le vent s'était mis à souffler. Brises légères, sitôt perçues sitôt retombées. Mais du vent quand même. Au fond d'une vallée fermée.
Inconsciemment, il accéléra le mouvement, n'évitant de piétiner la rare végétation que par une longue habitude. Jusqu'à ce qu'il réalise.

La vallée faisait un brusque coude vers la gauche : la Mer était bien là.
Et son sort avait fonctionné : il lui avait suffi d'avancer pour trouver le chemin le plus sûr.
Le ra ralentit en voyant les mouvements de la Brume au pied des falaises. Il avait atteint la Mer.
Il était loin d'en avoir fini.
Dernier message par Lyne - 11 Septembre 2013 à 21:25:35
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Transcription de l'émission « Les Goûts du Khanat » n°1, diffusée sur le canal public du kagnici « L'Académie des Saveurs » – fréquence 1109.13

Voix masculine chaude, suave, presque sensuelle
CitationCoi à tous nos chers auditeurs et très chères auditrices, et bienvenue sur la fréquence de l'Académie des Saveurs, pour cette nouvelle émission des "Goûts du Khanat".
Ici Jip, en direct de nos studios de Natca, pour vous accompagner dans ce nouveau voyage, à la découverte des innombrables produits que le Khanat a à nous offrir.

Avant de commencer, je tiens à remercier tous ceux, et toutes celles, d'entre vous qui nous encouragent et nous soutiennent dans notre lutte désintéressée pour faire partager les saveurs du Khanat au plus grand nombre.
Continuez à nous écrire nombreux à notre boite postale "Au ra qui baffre – Courtoisie / niveau -3 – Ratmidju". Nous acceptons aussi les dons et subventions caritatives en toutes monnaies échangeables à la bourse de Natca.

Aujourd'hui, nous allons évoquer un fruit qu'on trouve en toutes saisons sur les étals de Ratmidju – en tous cas, chez tous les épiciers corrects – et sur lequel courent *ton faussement lugubre* de bien sinistres rumeurs.
Je veux parler, vous l'aurez compris, du klum. Et pour commencer, nous allons retrouver immédiatement mon ami Cof, qui se trouve actuellement dans l'un des marchés aux portes de l'InfrA.
Coi Cof, vous m'entendez ?


Voix masculine neutre mais un peu forcée, comme pour couvrir le brouhaha à l'arrière-plan en essayant de ne pas crier
CitationOui, coi Jip, et coi à tous nos auditeurs.
Je suis en effet devant l'un des étals qui proposent des klums.
Pour ceux de nos auditeurs qui n'auraient jamais eu la chance de découvrir les merveilleux marchés de Ratmidju, leur extraordinaire profusion, et leur incroyable diversité, il est peut-être bon de rappeler à quoi ressemble un klum.

Il s'agit d'un fruit de la taille d'un poing, environ. Il est généralement rond ou vaguement ovoïde, bien que certains présentent une excroissance plus ou moins importante au niveau de la base de la tige.
La peau est épaisse mais souple, lisse, verte, veinée d'orange et de bleu. Le plus simple pour éplucher un klum est d'ailleurs de le couper en 4, puis de gratter le long de la peau pour détacher la chair.
L'intérieur contient en effet une chair tendre et juteuse, de couleur jaune orangé, également veinée – bien que plus légèrement – de bleu.
Le cœur est composé d'une masse spongieuse, où le bleu est plus dense, de plus en plus aérée à mesure qu'on se rapproche du centre, et pouvant aller jusqu'à former une cavité. Cette partie se sépare facilement du reste à l'aide d'une simple cuillère.


Première voix, interrompant la première
CitationPas de noyau ni de pépins, donc, mon cher Cof ?


Seconde voix
CitationOui, tout à fait, Jip, pas de noyau. A moins qu'il n'y ait un noyau de vide... *rire forcé, vite arrêté*
Par contre, certains prétendent qu'on peut trouver parfois trouver des pépins dans certains klums de montagne.


Première voix, interrompant à nouveau la première
CitationCar il faut préciser, mais vous le savez sûrement mon cher Cof, que le klum est originaire des montagnes. Des Monts de Givre plus précisément.


Seconde voix
CitationOui, tout à fait, Jip. Les premiers klums poussaient à l'état sauvage dans les Monts de Givre, et on en trouve encore quelques uns là-bas.
Mais il s'agit de spécimens beaucoup plus petits, car le climat ne leur permet pas d'atteindre leur pleine maturité avant la fin de l'été. Eh oui, on l'oublie trop facilement, chers auditeurs, mais tout le monde ne bénéficie pas du climat tempéré et quasi constant de Ratmidju. La surface peut se montrer bien cruelle, y compris pour les plantes.


Première voix, profitant d'un moment de flottement de la seconde
CitationMais, et c'est important de le signaler mon cher Cof, c'est un fruit qui pousse toute l'année en plaine. Il n'est pas limité à l'été.


Seconde voix
CitationOui, tout à fait, Jip.
Il y a déjà plusieurs Eons, les klums ont été acclimatés dans les plaines d'Astharie. Depuis, grâce au dévouement des ra qui approvisionnent Ratmidju – eh oui, car on l'oublie trop souvent, mais il y a des ra à l'origine des innombrables mets qui comblent nos marchés, des ra qui, comme nous, oeuvrent à la grandeur du Khan et du Khanat... *silence prolongé*
Oui. Enfin. Voilà. Donc, les klums sont désormais cultivés dans les plaines d'Astharie sous la forme que nous connaissons aujourd'hui. En particulier, la chair s'est nettement développée au détriment de la partie spongieuse.


Première voix, s'immisçant dans le monologue
CitationCe qui est heureux, puisque cette partie ne se mange pas, n'est ce pas mon cher Cof.


Seconde voix
CitationOui, tout à fait, Jip.
Ni la peau ni la partie spongieuse ne sont comestibles.
Mais la chair, comme je l'ai dit, est juteuse et tendre. Et peut être accommodée de bien des façons.


Première voix
CitationJe vous interromps une minute, mon cher Cof, car c'est l'heure pour nos partenaires et néanmoins amis de faire partager à nos auditeurs la variété de leurs produits.


Jingle fantaisiste

Voix sérieuse, et en même temps professionnellement compatissante

CitationLes Brumes ne sont pas une fatalité.
Pour vous en protéger, vous et vos proches, il existe un moyen simple et efficace. Il suffit de prendre quelques minutes pour y penser... avant.
Chez RevInc, nous vous proposons toute une gamme de solutions adaptées à vos besoins, et à vos envies.
Nos conseillers sont là pour vous aider à choisir ce qui vous convient le mieux.
Alors, avant qu'il ne soit trop tard, n'hésitez plus et rencontrez le conseiller RevInc le plus proche de chez vous.


Nouveau jingle fantaisiste

Voix nasillarde, accent terrible de Sovrok – l'enregistrement n'est pas de bonne qualité

CitationChez Ziem Bundaro, y'a tout c'qu'il faut ! Automates toutes taches à pas cher ! Vraiment pas cher ! Encore moins cher, tu trouves pas ! Automates réparés et garantis par moi ! Chez Ziem Bundaro, y'a tout c'qu'il te faut !


Toujours le même jingle fantaisiste

Voix féminine sans émotion, qui a l'air de nettement s'ennuyer

CitationL'Académie des Saveurs, en tout lieu à toute heure, vous accompagne pour votre plus grand bonheur, et comble votre ventre et votre cœur. Vous écoutez le canal de l'Académie des Saveurs.


Encore le jingle fantaisiste, qui commence à faire sérieusement grincer des dents


Première voix

CitationEt nous revoici, chers auditeurs et très chères auditrices, votre dévoué Jip en direct de nos studios et mon ami Cof sur les marchés de l'InfrA, pour vous faire découvrir les "Goûts du Khanat".
N'oubliez pas que vous pouvez participer à la longue vie de votre émission préférée en envoyant vos dons à notre boite postale "Au ra qui baffre –Courtoisie / niveau -3 – Ratmidju".

Nous allons maintenant retrouver Cof, qui va nous expliquer comment bien choisir ses klums.
Cof, à vous la fréquence.


Seconde voix, toujours au milieu de brouhaha
CitationOui, tout à fait, Jip. Car il est capital de bien choisir ses klums.
Il est important de rappeler, pour nos auditeurs qui l'ignoreraient, qu'une bonne partie de la réputation des klums comme soi-disant psychotropes ou narcoïdes vient de la consommation de fruits avariés.


Première voix, interrompant la seconde
CitationCe qui ne provoquerait donc pas des voyages dans le Monde du Rêve, mais aux latrines les plus proches, mon cher Cof ? *rire auto-satisfait*


*instant de silence de Cof, où on n'entend que le brouhaha du marché*
Seconde voix, un peu gênée
CitationEuh, oui, tout à fait, Jip. On peut dire ça.
Hum...
Donc, pour bien choisir son klum, le premier critère est la provenance du fruit.
Certaines exploitations sont particulièrement renommées pour la qualité de leur production. N'hésitez pas à interroger le commerçant.


Première voix, interrompant la seconde
CitationEt souvenez-vous de toute façon que les meilleurs klums viennent de l'exploitation de Regipa Calamira, dans le kastron de Vault, et qu'on les trouve chez Maam'I Guup'I, au niveau -1 de l'InfrA. Réduction spéciale pour nos auditeurs.


Seconde voix, un peu incertaine
CitationEuh. Oui. Oui, tout à fait, Jip.
Euh...

Oui. Donc, le deuxième critère pour bien choisir son klum, c'est la densité et le motif du veinage bleu sur la peau. Un bon klum doit avoir un motif harmonieux, pas trop serré, mais avec des contours nets.
Ne croyez surtout pas ceux qui vous disent qu'il faut y reconnaître à coup sûr tel ou tel forme, ce ne sont que des charlatans.
Le troisième...


Première voix, tentant d'interrompre la seconde
CitationAh ? Même pas un mig...


Seconde voix, ne criant pas tout à fait, mais tachant quand même de couvrir la première
CitationLe troisième critère, c'est le poids. Plus la partie spongieuse est importante, plus le klum sera léger.
Un bon klum devra donc être lourd, bien peser dans votre main.


Seconde voix continuant très vite pour ne pas être interrompue
CitationUne fois que vous avez choisi vos klums, il ne reste plus qu'à décider de la meilleure façon de les consommer.
On voit parfois des gamins ucikara, dans certaines zones de Sovrok, qui croquent directement dans un quartier de klum en courant dans la rue. Le jus leur coule dans le cou. C'est dégoûtant.


Première voix réussissant quand même à s'incruster
CitationMais, mon cher Cof, on ne peut pas en vouloir aux enfants si leurs parents ne les rêvent pas correctement.


Seconde voix, de mauvaise grâce
CitationOui, c'est vrai, tout à fait, Jip. Mais quand même.

Il existe une infinité de façons élégantes et délicieuses de déguster le klum.
La première, c'est de séparer délicatement la peau et la partie spongieuse de la chair. On obtient alors un matériau, certes un peu difficile à travailler, mais qui peut être découpé en formes variées dans une salade de fruits, si on veut faire simple, ou pour agrémenter joliment un plat de viande. De préférence une viande forte, comme du jrada'a mariné, qui sera adoucie par le klum, en un mariage harmonieux.

On peut également pocher des morceaux de klum dans un bouillon très chaud, aromatisé, selon les goûts, de divers épices.


Première voix, interrompant la seconde
CitationIl y a d'ailleurs un ouvrage que je vous recommande, sur les épices, édité par notre Académie, et que vous pourrez vous procurer pour un prix très raisonnable dans toutes les bonnes librairies, ou mieux encore directement en vous adressant à notre boite postale "Au ra qui baffre – Courtoisie / niveau -3 – Ratmidju".


Seconde voix, un peu énervée, mais tentant de le cacher
CitationUne autre recette traditionnelle, c'est la tarte aux klums.


Première voix, interrompant encore la première
CitationRecette qui, comme chacun le sait, vient des plaines d'Astharie, n'est ce pas, mon cher Cof.


Seconde voix, énervée
CitationOui, mais bon. La tarte qu'on trouve dans les plaines est très différente de celle que proposent nos pâtissiers ou que vous pouvez faire vous-mêmes. Comme la récolte locale est principalement destinée à la Ville, les habitants de la région n'utilisent que les klums invendables. Leur tarte ne vaudra donc jamais celles de Natca ou Courtoisie, et pourrait même rendre malades les ra qui ne sont pas habitués à Culno.


Première voix, intervenant très vite, conciliante
CitationOui, mais ce n'est pas de leur faute, Cof.


Seconde voix, se reprenant
CitationOui, bien sûr. Oui, tout à fait, Jip. Les pauvres, ils font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont.

Hum. Voilà.

Sinon, une autre façon de préparer les klums, consiste à en faire une mousse légère, dont on fourre certains gâteaux.


Première voix, interrompant la seconde
CitationD'ailleurs, si vous souhaitez un automate pour fouetter la mousse, ou pour toute autre corvée dans votre cuisine ou dans votre logement, je vous donne une petite adresse que j'ai dégotée pour vous, chers auditeurs et très chères auditrices. Ca ne paye pas de mine, mais ça s'appelle "chez Ziem Bundaro", dans la galerie basse de Sovrok, derrière la fontaine des quatre branaz. Vous pourrez y trouver des automates à des prix défiant toute concurrence. Surtout, dites bien que vous venez de ma part.

Mais je vous en prie, mon cher Cof, poursuivez.


Seconde voix, un peu nerveuse
CitationTout à fait. Oui. Tout à fait, Jip. Enfin. C'est-à-dire. J'ai à peu près fini, là.
Et puis, le marché se termine, donc je pense que je vais ramener le matériel au studio d'enregistrement, hein.
A vous la fréquence, Jip.


Première voix, encore plus suave qu'au début, limite mielleuse
CitationEh bien, chers auditeurs et chères auditrices, ainsi se termine notre émission des "Goûts du Khanat".
J'espère que j'aurai l'immense plaisir de vous retrouver, dans deux vodu, pour une nouvelle émission consacrée cette fois à la viande de jrada'a.

Dans l'intervalle, n'hésitez pas à nous encourager et à nous soutenir. Vos messages, et surtout vos dons, nous touchent toujours beaucoup. Je vous rappelle l'adresse : boite postale "Au ra qui baffre – Courtoisie / niveau -3 – Ratmidju".

Je remercie tous nos partenaires et néanmoins amis, et je vous souhaite à tous un bon padje, et vous dis à bientôt.

(Bon anniversaire, Khanat ;) )
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