Aller au menu du forum Aller au contenu du forum Aller à la recherche dans le forum
Logo Khaganat
Menu principal

Pour une approche comportementale naturaliste

YannK

Bien que cela ne soit pas indispensable pour construire un monde imaginaire, j'ai tendance à penser que des notions sur la façon dont les choses se déroulent sur terre peut donner des clés pour accoucher de choses plus complexes, plus variées, plus intéressantes, plus subtiles. Si on s'appuie sur des phénomènes compréhensibles pour qui en a les clefs, il sera d'autant plus facile pour lui d'y ajouter des éléments pour l'enrichir, de façon cohérente et pertinente. Cela me parait important pour un projet d'univers libre.
Je vous propose donc quelques notes très rapides et superficielles sur des lectures issues d'analyses éthologiques, anthropologiques, pour nourrir votre réflexion.

Les stratégies d'accès aux ressources
Par ressource, on peut comprendre n'importe quoi d'essentiel à un organisme : essentiellement, cela désigne l'alimentation et la reproduction. En cas de pression de l'environnement et/ou des prédateurs, cela peut inclure également l'accès à la sécurité.
Deux comportements existent :
- le combat : affrontement entre les prétendants ;
- la ruée : les prétendants tentent de s'emparer le plus vite possible du maximum de la ressource sans se soucier des autres prétendants.
Bien évidemment, la stratégie retenue peut être influencée par des facteurs internes ou externes et c'est généralement la solution la plus économique en terme d'investissement qui sera privilégiée : prenons l'exemple d'une nourriture abondante sur une large zone. Il serait vain et inefficace pour un prétendant de tenter de circonscrire la zone, car il se ferait déborder facilement d'un côté quand il serait de l'autre. Dans ce cas, il est fort probable que la ruée sera retenue par le groupe étudié. Par contre, imaginons une race où les femelles sont rares, il est fort probable que l'accès à celles-ci sera l'enjeu de combats.
Une des spécificités de certaines ressources est aussi leur caractère fractionnable ou pas. On peut partager aisément de la nourriture (a priori, cela peut même être un facteur structurant de le sociabilité du groupe), l'accès au sexe opposé plus difficilement, sauf dans le cas de stratégies sociales complexes où la reconnaissance de la paternité/maternité peut être brouillée par des attitudes manipulatoires.
Une des conséquences de la stratégie combat est qu'elle privilégie les forts et leur donne un avantage évolutionniste. Cela aboutit généralement à un dimorphisme, une différence physiologique de taille.
Une des conséquences de la ruée est ce qu'elle permet des relations sociales moins houleuses, et la formation de groupes plus larges. Du moins tant que le milieu ne varie pas.

La stratégie alimentaire
Pour se nourrir, l'organisme peut choisir de privilégier des ressources faciles d'accès, demandant un faible investissement pour leur collecte. C'est le cas des herbivores par exemple. Seulement, souvent, ces aliments sont faiblements énergétiques, voire demandent une forte dépense énergétique pour être assimilés.
L'autre stratégie est une ressource plus complexe d'accès, mais plus rentable énergétiquement. Ce peut être le contenu d'une noix, ou une proie, par exemple.
Le premier cas mobilisera moins de ressources cognitives, voire l'organisme en général. Le second peut demander de faire appel à des stratégies complexes : chasse en groupe par exemple, nécessitant de la communication, voire du langage. La sociabilisation peut s'en trouver renforcée, et l'apparition d'une culture plus probable : technique d'ouverture de noix, de rinçage d'aliments, de fouille dans le sol pour des racines, voire l'apparition d'outils.
En plus de la moindre pression cognitive qu'exercent des ressources faciles d'accès, il faut tenir compte aussi du fait que le développement cérébral est très demandeur d'energie. Le cerveau a besoin d'énormément d'énergie, eu égard à son poids; et la densité des connexions semble être un facteur aggravant (signe de complexité du système). DOnc il faut absolument rentabiliser son apport alimentaire d'un point de vue énergétique pour que le cerveau puisse se développer jusqu'à un niveau élevé. Pour l'homme, on a longtemps pensé que c'était grâce à la viande que cela s'était fait, et on penche de plus en plus vers la découverte de la cuisson, qui rend moins dispendieuse l'assimilation de certains aliments (comme l'amidon).

La communication et le langage
La communication permet de transmettre une information simple. On connait chez pas mal d'animaux des cris qui préviennent de la présence d'un prédateur. Mais il n'y a vraiment langage que quand il y a intention, attente d'une réaction, stratégie vis à vis du tiers. Il doit exister une interaction entre celui qui envoie le signal et celui qui le reçoit, et différents niveaux de compréhension et d'intention peuvent accompagner le signal. La communication est purement informative, et n'attend pas forcément de retour.
Le langage n'est pas indispensable pour qu'une culture se développe, mais il en facilite la propagation et permet aussi de thésauriser sur le long terme les connaissances accumulées, en facilitant la transmission.

L'apprentissage et la culture
La culture est la spécificité de comportement d'un groupe d'une espèce par rapport à un autre groupe de la même espèce. Cela peut être l'usage d'outils, une alimentation différente, des pratiques sociales distinctes. Son apprentissage fait partie de l'ontogénèse de l'individu, et parfois cela se fait de façon très ardue, avec beaucoup de temps.
L'apprentissage est au coeur des possibilités de reproduction de cete culture, et il existe plusieurs façon pour qu'il soit possible. Il semble que souvent, chaque individu doive réapprendre depuis zéro chaque chose, sans être capable de procéder par imitation. L'émulation peut jouer, mais sans plus. Le fait de recevoir un enseignement est encore plus rare, et cela nécessite un haut degré de communication, voire du langage.
Le jeu est une autre approche, très fréquente, entre les jeunes. Ils reproduisent les attitudes sociales qu'ils observent chez les adultes, mais c'est considéré comme jeu car cela n'entraîne aucune répercussion dans la hiérarchie ou leur attitude les uns vis-à-vis des autres. Cela permet parfois de déterminer son identité sexuelle, en adoptant les attitudes adaptées à la reproduction.

La diversité génétique
Il semble que naturellement, les individus favorisent la recherche de la variété génétique pour leur descendance, de façon à garantir une plus grande résistance au milieu. Des stratégies de rejet de l'inceste sont donc déployées : exogamie souvent. Les mâles ou les femelles quittent leur groupe social de naissance pour rejoindre d'autres partenaires, apportant leur potentiel génétique distinct et évitant ainsi l'accouplement avec des apparentés. Il est possible d'ailleurs qu'une reconnaissance des individus apparentés à sa propre mère favorise ce phénomène chez les primates.

La pression du mode reproductif
La façon dont les descendants sont engendrés a une forte répercussion dans la façon dont le groupe va s'organiser. Dans le cas des vivipares mammifères, la femelle est limitée dans ses capacités physiques le temps de la gestation, et encombrée du petit pendant l'allaitement, qui est, par ailleurs, également très énergivore pour elle. Il en découle une tendance à la rationalisation des dépenses énergétiques, et une politique d'économie, au moins pendant ces périodes. Il est donc souvent préféré des activités moins risquées, au potentiel plus clairement identifiable (cueillette, insectes...). L'attachement qui découle de la proximité des premiers moments de vie fait qu'il est fréquent que la femelle se retrouve à encadrer l'apprentissage du petit sur une période parfois très longue, bien au-delà de l'allaitement.

La pression génétique
Le but des organismes étant, d'instinct, de permettre la survie de leurs propres gênes, ils vont employer plusieurs techniques pour cela :
- s'assurer une descendance. Pour le partenaire qui n'est pas impliqué dans la gestation et l'allaitement, cela veut dire multiplier les relations avec un maximum de partenaires. Cette stratégie de dissémination peut être contrecarrée si ce partenaire participe à la sauvegarde des descendants en bas-âge (aide alimentaire, protection des prédateurs...)
- s'organiser socialement avec des apparentés. Partageant une partie de son patrimoine génétique avec ses frères et soeurs, cousins, les aider va garantir la survie de ces gènes communs.
- augmenter la fertilité des partenaires potentiels : cela peut se faire en éliminant la descendance concurrente, de façon à arrêter l'allaitement, qui a souvent un effet contraceptif ;
- favoriser la survie de sa descendance, en assistant leur alimentation, leur protection. En outre, cela offre la possibilité de faire survivre une descendance dont on n'est pas certain qu'elle est sienne, mais dont il est probable qu'elle le soit (dans les groupes sociaux tolérants), des stratégies de manipulation venant à l'oeuvre.
- en cherchant le partenaire le plus efficace pour assurer la survie des descendants. Dans le cas d'une espèce à dimorphisme sexuel, un gros mâle costaud est rassurant pour la femelle.

L'organisation en groupe
Le regroupement des individus doit répondre à la nécessité pour chacun de maximaliser ses chances de succès. Car l'investissement social est très couteux : temps et énergie pour gérer les relations interpersonnelles, complexité de la gestion de l'aire d'alimentation, rites à développer pour la cohésion. En échange, l'individu, via ce groupe gagne divers avantages, le principal étant la plus grande chance de résister aux agresseurs (prédateurs, par le guet, les groupes concurrents, par la guerre). Ensuite, en fonction de la complexité des échanges sociaux, cela peut permettre la propagation d'une culture, d'un langage, des pratiques de groupe complexes concertées (chasse).
La vie en groupe implique aussi généralement une mixité sexuelle qui incite à la tolérance, car il devient presque impossible pour un individu de se garantir l'accès à tous les représentants de l'autre sexe. En outre, ceux-ci, pour se garantir en cas de changement de dominant, sont enclins à favoriser les échanges avec d'éventuels dauphins. Il s'ensuit une plus grande souplesse dans les relations, qui demeurent discrètes lorsque ce n'est pas le dominant qui est impliqué, de façon à conserver les apparences et garantir la paix.

Il faut bien voir que tout cela est dérivé de travaux éthologique et d'analyses anthropologiques relativement récents (30 ou 40 ans en moyenne, guère plus pour les travaux initiateurs), surtout que cela demande des travaux sur la durée, et dans des conditions pas toujours évidentes (milieux naturels) ou au protocole complexe (on comprend qu'il soit difficile d'envisager des travaux de privation sociale sur les enfants humains pour en étudier les répercussions). Donc il ne faut pas y voir une trame exhaustive de lecture. Les chercheurs insistent bien sur l'aspect protéiforme des phénomènes, et de la complexité des facteurs intervenant dans un choix comportemental plutôt que l'autre (avec d'éventuelle répercussions morphogénétiques ultérieures, voire également ontogénétiques). En outre, la vie n'est jamais figée, et les mutations qui permettent l'adaptation et l'évolution attestent de l'importance des individus qui sont en marge. Il existe quelques espèces qu'on appelle "fossiles vivants" car ils n'ont pas évolué depuis des millions d'années, mais c'est très rare et reflète la parfaite adaptation d'un organisme à un milieu, pour un temps donné. À l'avenir, si le biotope se modifie, nul doute que cet organisme devra évoluer, ou disparaître.
Enfin, il ne faut pas oublier que tout cela est le résultat d'un potentiel génétique, et que les gênes sont égoïstes, c'est à dire que parfois certains incitent à un comportement pour favoriser leur emprise et leur importance, mais au détriment de certains autres, et parfois de l'organisme porteur, qui échoue dans un cul-de-sac évolutionnel.

Si tout cela vous intéresse, je ne peux que trop vous conseiller l'excellente synthèse suivante :
Coppens Yves, Picq Pascal (dir.), Aux origines de l'humanité. Le propre de l'homme, Paris : Fayard, 2001.
Dans cet ouvrage, sous forme de longs articles écrits par des spécialistes, tout est fait en référence à l'homme et aux liens avec les primates, essentiellement supérieurs (chimpanzés), mais on peut en tirer pas mal d'informations sur leur approche scientifique de l'apparition de la culture, de principes cognitifs, d'organisations sociétales etc.
Le premier volet est plus anthropologique (Les origines de l'homme), mais tout aussi passionnant.
Dernière édition: 01 Janvier 1970 à 01:00:00 par Guest

Zatalyz

Ce serait intéressant de compléter avec un peu plus d'info sur l'éthologie d'autres groupes animaux. Je pense en particulier aux oiseaux et reptiles (ovipares), peut-être aussi les poissons et autres machins aquatiques. Ce n'est pas évident cependant de faire un parallèle avec une culture et de voir l'impact que ça aurait sur un groupe pareil développant une civilisation. Cela concerne surtout les derniers points lié au mode de gestation (pour les stratégies d'accès aux ressources, alimentaires et même la communication je pense que le propos est assez général pour être valable partout), de protection de la descendance (donc de son apprentissage).

Par ailleurs, je m'entête à croire qu'étudier le comportement "inné" du joueur et ses stratégies, puis à en extraire une culture s'appuyant sur une biologie et un environnement plausible est une des clés pour un environnement rp réussi. La cohérence sans rien forcer, c'est toujours meilleur  :D
C'est ce que nous avions fait pour la mort (ou comment expliquer qu'on meurt, qu'on rez, qu'on retourne au combat comme si de rien n'était), la difficulté ayant été d'équilibrer ce qui est compréhensible au joueur lambda, ce qu'on voit en jeu, et logique psycho/sociologique. Le même défi nous attend sur la descendance, la transmission du patrimoine (inexistante en jeu), l'accouplement (pardon, les mélanges émotifs entre espèces différentes  :P ), voir l'apprentissage (des pnjs qui s'en occupent souvent  :D ). J'imagine que la clé se trouve dans la transmission du patrimoine, fondé d'abord sur le patrimoine génétique (reconnaissance des filiations, comme tu le décris, afin de favoriser un brassage génétique, mais aussi de faire prospérer les plus adaptés au milieu), ce qui au niveau culturel deviendra la transmission de tout et n'importe quoi : terres, droits, savoir-faire et outils, ou même simplement nom.
Et notre gros, gros souci est que la transmission du patrimoine n'existe pas en jeu. Les gens arrivent de nul part et disparaissent sans se soucier d'héritiers. Pour cela, l'oviparité pouvait présenter un sens. Il y avait la question de l'équilibrage avec ce que le joueur peut percevoir et à quoi il peut s'identifier. Est-ce que l'oviparité est compatible avec une civilisation pensé par des mammifères (et des primates, c'est encore pire !  :P ) ? Pour ça, la démarche de Yannk est vraiment intéressante, en étudiant divers groupes on peut envisager des réponses.
Dernière édition: 01 Janvier 1970 à 01:00:00 par Guest

YannK

Il y a Rémy Chauvin, décédé récemment, qui était un myrmécologue reconnu, également grand nom de l'éthologie française pour avoir commis plusieurs ouvrages, ancien enseignant à la Sorbonne.
Il a écrit : L'Éthologie, histoire naturelle des moeurs, Paris : Puf, Le biologiste,1975, 1983.
C'est un peu ancien désormais mais on y trouve pas mal de choses fondamentales, dont tout ce qui découle des travaux novateurs de Konrad Lorenz. Je ne connais pas ses autres livres d'éthologie
Pour une société non-primate, il y a son excellent Le monde des fourmis, Monaco : éditions du rocher, 1994, 2003.
Il y présente une analyse passionnante sur les différentes espèces, leurs société, leurs cités (et même leurs drogues ^^). La dernière partie, sur les fourmis peuvent-elles apprendre, est une réflexion qui devrait en titiller certains ici. Je trouve qu'il complète bien le bouquin : Hölldobler Bert, Wilson Edawrd O, Voyage chez les fourmis. Une exploration scientifique, Paris : éditions du Seuil, 1996 qui possède des jolies illustrations.(c'est la traduction d'un bouquin anglophone)

Le poche Points Sciences : Renck Jean-Luc, Servais Véronique, L'éthologie. Histoire naturelle du comportement, Paris : Seuil, 2002. est plus un ouvrage sur l'éthologie que d'éthologie. Une large part y aborde l'histoire de la discipline. Je pense que cela s'adresse plus à des étudiants en biologie qu'à des gens comme nous qui recherchons plutôt des manuels de lecture comportementale.
Dernière édition: 01 Janvier 1970 à 01:00:00 par Guest

Licences Mentions légales Accueil du site Contact