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Snemol

Le ra entra dans la vaste salle de restauration, et s’arrêta près de l’entrée. Du regard, il embrassa l’espace autour de lui, pour s’arrêter finalement sur la table la plus proche de la cuisine, là où un groupe prenait une collation en discutant et en riant beaucoup. Il se dirigea lentement vers eux.

Lorsqu’il s’en approcha, les ra qui lui faisaient face se turent et le regardèrent arriver. Leurs compagnons qui lui tournaient le dos se retournèrent à leur tour, et le visiteur se retrouva bientôt au centre de l’attention générale. Une attention plutôt amicale, mais qui laissait clairement entendre que c’était lui l’intrus, et que c’était donc à lui que revenait la charge de commencer les présentations.

Il s’arrêta et salua poliment le groupe dans son ensemble : « Coi. Lan’Urbei cmene mi. »
Un murmure collectif de « Coi » lui répondit.
Lan’Urbei s’humecta légèrement les lèvres. Ça avait paru tellement évident quand il avait vu le bâtiment, et qu’il s’était engagé dans le tunnel. Mais devoir expliquer tout ça, à voix haute, et à quelqu’un d’autre…

« Pardonnez-moi de vous déranger… C’est un peu compliqué à expliquer. »
Il s’arrêta. Tout le monde le regardait, attendant la suite. Il finit par se lancer.
« Vous connaissez Snemol ? On l’appelle aussi la Bouche des Rêves. »
Les têtes bougèrent : oui, non, peut-être…
« C’est une pierre un peu spéciale, sur l’un des murs à l’extérieur de la Crypte. Elle ressemble un peu à un visage de ra, de cette dimension. » Il écarta les bras de toute leur largeur.
« Et, parfois, elle parle. »
Plusieurs ra échangèrent des regards avec leurs voisins pour confirmation, et certains hochèrent la tête.

L’une d’entre eux, une tcara aux ongles interminables, haussa les épaules avec désinvolture : « C’est juste un truc que la Crypte a mis au point contre la Polcie. Ils disent que les Rêves parlent par là, mais c’est seulement un moyen de faire faire des trucs bizarres aux ra qui passent dans le coin. »
Un autre, un runzatra bardé de tatouages numériques, se mit à rire : « Ou un moyen pour des ra qui veulent faire des trucs bizarres de s’en tirer à bon compte. C’est la Bouche qui m’a dit de le faire… » singea-t-il avec une voix de fausset.
« Vous dites ça parce qu’elle ne vous a jamais parlé, c’est tout. Moi, je connais un ra qui l’a entendue. Et je peux vous dire qu’il a sacrément regretté de pas l’avoir écoutée. » s’emporta une troisième, une tcara toute frêle aux grands yeux verts.
Une ucikara solidement charpentée assise au bout de la table posa sa chope et sourit au visiteur : « Et si nous laissions notre hôte raconter son histoire… »
Et aussi vite que le débat avait commencé, il fut terminé.

Le ra la remercia d’un signe de tête. « C’est vrai que la Bouche dit des choses bizarres. Des choses qui n’ont aucun sens. Mais parfois… »
Il se tut une nouvelle fois et soupira.
« Je ne sais même pas ce que je dois chercher. Ça m’a paru évident, quand je suis parti. Et quand j’ai vu les bâtiments d’ici, je me suis dit que c’était le bon endroit. Mais maintenant… Je suis désolé. Je n’aurais pas du vous embêter avec ça. »

L’ucikara qui avait parlé la dernière lui adressa un nouveau sourire et montra le groupe d’un mouvement de tête : « C’est la pause, et nous aimons tous une bonne histoire. Installez-vous, prenez quelque chose à manger, et racontez-nous ça. Ça me paraît équitable : une histoire contre un repas. Qu’en pensez-vous ? »
Autour de la table, plusieurs ra rirent, et Lan’Urbei eut la nette impression qu’il y avait là une plaisanterie qu’il ne pouvait pas comprendre. Mais tout le monde avait l’air d’accord avec celle qu’il supposa être la cuisinière en chef. Il hésita puis posa son sac au sol : « C’est que je ne sais pas vraiment par où commencer. »
L’ucikara se mit à rire et montra un plateau : « Par là : manger, et boire. On ne raconte pas bien avec le ventre vide. Et pour l’histoire… Si vous ne savez pas où elle commence, vous pouvez toujours commencer par où elle finit. »
Cela fit rire Lan’Urbei malgré lui. « Je ne sais pas non plus où elle finit. C’est bien ça le problème… »
Mais il se dirigea vers le plateau, se servit deux petits gâteaux, une chope de tcay, et s’installa sur une chaise commodément libre à côté.

Il mâchouilla un peu en réfléchissant. Les gâteaux étaient bons, le tcay aussi. Les ra attendaient qu’il parle, dans un silence accueillant, chacun meublant le temps avec sa propre boisson, ou en jouant avec les miettes de son gâteau.
« J’ai entendu des tas d’histoires sur Snemol. Je l’ai même entendue parler, en fait. Mais ça n’avait vraiment aucun sens. La plupart du temps, ce ne sont même pas des mots. Je veux dire, je m’y connais en mots, je travaille aux archives. Au bout d’un moment, on finit par glaner des trucs ici ou là. Je connais plus d’une dizaine de dialectes, maintenant. En plus de la Langue Sacrée bien sûr.
La première fois que je l’ai entendue, ça m’a fait un choc, c’est sûr. Et Pelji – c’est un collègue. Enfin, c’était. Il a trouvé une place dans un kagnivo maintenant, pour s’occuper de leur bibliothèque privée. Et il s’est bien fichu de moi, la première fois. Il disait que c’était un sortilège de la Crypte qui s’échappait dans la rue, et que les démons de la Reine Rouge allaient me poursuivre. Je ne l’ai pas cru, bien sûr… Oui, enfin… Voilà… Oui… »
Il grignota un coin de gâteau supplémentaire.

« Enfin… La Bouche fait souvent des bruits, si on reste suffisamment dans le coin. Sauf que personne n’a envie de rester trop près de la Crypte, bien sûr. Mais c’est nettement plus court par là pour aller travailler depuis chez moi. Et puis les rues sont à tout le monde, hein. Oui, voilà. Parfaitement. A tout le monde. Et donc, je passe devant tous les jours en allant travailler, et en revenant.
En général, elle ne dit rien. Et parfois, elle annone juste des syllabes sans queue ni tête. Des fois, ce sont de vrais mots, mais ça ne veut rien dire pour autant. Ce ne sont pas des phrases, ou des structures cohérentes. Juste des mots égrenés à la suite. Sinamru, caillou, genou. Ce genre de choses. Au bout d’un moment, on n’y fait même plus attention. Même les camelots sont plus intéressants.
Et à la fin, je n’y croyais plus du tout à ces histoires où elle fait des grandes annonces, des oracles, ou je ne sais quoi. Elle n’était même pas fichue de faire une phrase ! » Lan’Urbei avala une gorgée de tcay, morose.

« Mais tout ça, c’est juste un leurre. En fait, elle sait faire des phrases. Tous ces bruits, c’est juste pour endormir les ra innocents qui passent. Qu’ils cessent de croire aux histoires, justement. Et le jour où tu t’y attends le moins… Paf ! Elle te sort tout un paragraphe ! »
Le ra rattrapa in extremis le gâteau que son brusque mouvement avait envoyé valdinguer près du bord de la table.

« Sur le coup, je n’ai pas vraiment fait attention. Je ne me souviens même plus de ce qu’elle disait exactement. J’étais déjà presque arrivé au bureau quand je me suis rendu compte qu’elle avait dit autre chose que ses bêtises habituelles. Il faut dire… c’était le jour où le secrétariat de la Cour devait nous livrer toutes les annales. Ils arrivent avec des chariots remplis à ras bord, leurs piles de documents, d’enregistrements dont ils ne veulent plus, et il faudrait qu’on les débarrasse en un clin d’œil pour qu’ils puissent rentrer chez eux.

Ah, mais ça ne marche pas comme ça ! Parce qu’un archiviste, ça ne vaut pas plus que son classement. Et qu’un classement ne vaut rien si on n’a pas tout rentré dans l’index, et consigné tous les emplacements pour le rangement. Alors on fait tout dans les règles. Et on vérifie même deux fois. Voilà !

Et tant mieux si ça les fait rager. Parce qu’ils ne peuvent rien dire, vous comprenez, mais tout le monde sait bien qu’ils préféreraient aller grenouiller dans les intrigues de la Cour. On les connaît… Ils pensent qu’on est le rebut, parce qu’ils nous filent les trucs que plus personne ne lit. Mais ils sont bien contents de nous trouver, quand quelqu’un de l’InfrA ou de la Cour vient les voir pour faire des recherches, hein. Ha ! »
Lan’Urbei appuya sa déclaration d’un vigoureux hochement de tête.

« Oui… Enfin… Voilà… Pour en revenir à la Bouche…
Sur le coup, j’avoue, je n’ai pas vraiment fait attention. Avec tout ce qu’il y avait à faire. Et quand je suis rentré, voyez-vous, je n’y ai pas repensé, et j’ai pris mon chemin habituel. Je suis repassé devant et elle n’a rien dit. Alors j’ai comme qui dirait oublié tout ça. Et puis il y avait ces tablettes à rechercher pour… Oui, enfin, ce n’est pas très important… Excusez-moi… »
Il finit sa chope, et le ra à côté de lui attrapa la carafe pour la lui remplir.

« Et puis, peut-être un jeftu plus tard, je ne sais plus, elle a recommencé. Juste quand je passais devant, elle s’est mise à parler. Là, j’ai écouté. C’était de la Langue Sacrée, et on n’en entend pas si souvent que ça dans la rue. Même à Natca. En dehors de l’administration et de la Cour, on ne l’utilise plus trop au quotidien. Et c’est bien dommage, parce que, voyez-vous, c’est une langue…
Fau’u. Ce n’est pas le sujet. Excusez-moi. Enfin… Voilà… Je n’ai pas fait complètement attention lorsqu’elle a commencé à parler. Et puis, je ne pouvais pas trop m’arrêter pour écouter. J’aurais risqué d’arriver en retard et l’archiviste en chef tient beaucoup à la ponctualité. Mais ça ressemblait à “au fond du sac, il y a un trou. Et dans le trou, il y a les Brumes.”.
Oui, je sais, ce n’est pas parce que c’était une phrase complète que ça a un sens. Et puis, moi, les Brumes, hein… »
Il frissonna.

« Mais ça m’a perturbé toute la journée, je dois bien le dire. Et je me suis même demandé si ça ne m’avait pas attiré la poisse, aussi. Je n’ai eu que des ennuis, pendant toute la journée.

Déjà, il y a eu ce ra de l’InfrA qui avait oublié de rendre ses documents. Alors on l’a convoqué, bien sûr, mais quand il a fini par arriver, il nous a sorti une excuse bidon comme quoi les bogs les lui avaient piqués. Non mais franchement ! Qui croirait un truc pareil ! Je lui ai dit ce que j’en pensais, bien sûr ! Le manque de respect de certains ra pour les documents qu’on leur confie… Mais voilà que l’archiviste en chef est arrivé, et m’a dit de me calmer ! A moi ! Et il s’est mis à faire des ronds de jambes à l’autre, là, et à lui dire qu’on allait trouver une solution, et qu’on allait arranger ça ! Comme si on pouvait arranger des documents perdus ! Et après, quand l’autre est parti, il m’a passé un savon parce qu’il faut montrer plus de respect aux ra qui viennent aux archives… Le Khanat à l’envers ! Rien que d’y penser, j’en tremble encore ! »
Lan’Urbei tendit la main devant lui pour prouver ses dires. Puis il réalisa qu’il avait à nouveau dévié de son histoire.

« Oui, bon… Voilà…. Fau’u… En rentrant, je ne suis pas repassé par la rue de la Bouche. J’avais eu plus que mon compte de bizarreries pour la journée. Et le lendemain non plus. Je ne suis pas superstitieux, comprenez-moi bien. Je ne crois pas aux Brumaires ou ce genre de choses. Quand on réfléchit un peu, on sait bien que ce ne sont que des fariboles. Mais ça faisait beaucoup, quand même, et on n’est jamais trop prudent.

La fois suivante où je suis repassé par là, je raccompagnais un collègue. J’espérais à moitié qu’elle parle à nouveau, pour que mon collègue l’entende aussi. Mais elle n’a rien dit. Alors je n’ai rien dit non plus. Je n’avais pas trop envie qu’il me croie fou.

La fois suivante, j’étais tout seul, mais elle n’a pas non plus dit un mot. Même pas un borborygme quelconque. Silence complet. Et puis, honnêtement, l’autre chemin est quand même nettement plus long. Sans parler des escaliers… Je me suis dit que je n’avais sans doute pas eu de chance, et c’est tout. Mais je me berçais d’illusions. Parce qu’elle a recommencé ! Et là, j’ai entendu le début. Elle disait :
“Dans le Rêve, il y a un sac. Et au fond du sac, il y a un trou. Et dans le trou, il y a les Brumes. Et au cœur des Brumes, il y a l’Œuf. Et de l’Œuf, veulent s’échapper les Rêves.” »
Le visiteur adressa un sourire d’excuse à ses auditeurs.

« Je n’ai jamais prétendu que ça avait beaucoup de sens. Mais, pour une fois, elle faisait des phrases. Des phrases construites. Sauf que je ne savais pas quoi faire de ça, moi. Je veux dire, les Brumes, le Rêve, tout ça… Ce n’est pas mon domaine ! Je suis juste un archiviste assistant. Et puis, de toute façon, tous les textes un peu bizarres sont immédiatement mis sous séquestre par la Polcie ou la Crypte. Nous, on a juste les vieux trucs, comme les annales administratives, les comptes-rendus des réunions de la Cour depuis le début de l’Éon, ce genre de choses…
Et puis les cartes, les textes, les enregistrements, qui ne sont plus valables parce que culno change sans arrêt. Par exemple, vous saviez que, avant, à la place du Désert, il y avait une grande mer ? Au moins aussi grande que la Mer des Songes. Bien sûr, c’était au moins avant l’Éon de la Technocratie. Alors quand on trouve une liste des poissons qu’on pouvait y pêcher, eh bien, ça n’a plus trop de sens. Et ça atterrit donc chez nous. Mais je ne connais rien sur les Brumes et le Rêve, moi. A part les trucs habituels. »
Lan’Urbei soupira et baissa les yeux sur sa chope.

« Et puis, je ne suis pas un héros, moi. Je veux juste qu’on me laisse tranquille avec mes archives. Donnez-moi un carton de vieilleries à classer quand vous voulez, mais ces histoires où un brave ra se retrouve propulsé dans une grande aventure… Il n’y en a pas une seule où le héros ne souffre pas horriblement. Je ne veux pas souffrir moi… »
Le ra regardait toujours sa chope, jouant machinalement avec l’anse. Morose.
« Alors, j’ai fait comme si je n’avais rien entendu. Je suis allé travailler comme si de rien n’était. Et au retour, j’ai pris l’autre route. Et tant pis pour les escaliers. »
L’archiviste inspira un grand coup.

« Sauf que ça marche pas. Une fois qu’elle a coincé un ra, elle ne le lâche plus. Un jour, l’archiviste en chef m’a appelé. La Crypte avait demandé qu’on leur livre des trucs, et il voulait que je m’en charge. Ça arrive de temps en temps. En général, ils viennent et ils se servent comme ils veulent, mais parfois, ils aiment bien avoir des larbins. Même si on est toujours contents de les aider, hein… »
Il jeta un coup d’œil inquiet alentours, au cas où un démon de la Crypte aurait été à l’écoute pour noter son manque de respect. Mais il n’y avait que des ra aimablement intéressés, alors il reprit.

« Enfin… C’était un gros paquet. Et il faisait son poids. Rien que l’idée de devoir monter et descendre tous ces escaliers… J’ai pris le risque de reprendre mon chemin habituel. J’étais sacrément tendu, et pas juste à cause du poids du carton, mais elle n’a rien dit. Silence complet. Un instant, je me suis repris à espérer. J’étais tellement soulagé que j’ai même souri aux agents de la Crypte en leur donnant mon carton et en remplissant leur paperasse. C’est pour le coup qu’ils ont du croire que j’étais fou. Mais ça n’a pas duré. Sur le chemin du retour, elle s’est remise à parler.
“Dans le Rêve, il y a un sac. Et au fond du sac, il y a un trou. Et dans le trou, il y a les Brumes. Et au cœur des Brumes, il y a l’Œuf. Et de l’Œuf, veulent s’échapper les Rêves. Trouve l’Œuf.”
Trouver l’œuf ? Mais quel œuf ? Je ne vous raconte pas dans quel état j’étais en arrivant au travail. J’étais si stressé que l’archiviste en chef a cru que les agents de la Crypte m’avaient fait des misères, et qu’il m’a renvoyé chez moi pour me reposer. Je vous prie de croire que j’ai pris les escaliers ! »

Lan’Urbei prit une grande gorgée de tcay et grimaça en réalisant qu’il était plus que tiède, depuis le temps qu’il était dans la chope.
« Le lendemain, Purmo est venue me chercher pour aller travailler. Ah non. Le lendemain, c’était mon jour de repos. C’était le jour d’après. Enfin… Voilà…

Purmo est venue frapper chez moi pour voir comment j’allais. Je suppose que le chef lui avait passé la consigne, parce que, en général, elle ne fait pas trop attention à moi. Mais on a fait le chemin ensemble. Je ne voyais pas trop comment lui dire que je préférais éviter de passer par la Bouche. Elle m’aurait traité de froussard. Ou de cinglé. Ou pire. Alors je l’ai juste suivie. Sans incident.
En ressortant, Purmo m’a à nouveau raccompagné. Et là encore, tout s’est bien passé. Ça m’a fait réfléchir.

Alors le jour d’après, j’ai voulu tenter l’expérience. Je me suis mis à l’entrée de la rue, et quand deux ra sont arrivés qui allaient dans ma direction, je les ai suivis. Ils ont du se demander ce que je leur voulais, mais la Bouche est restée silencieuse. Au retour, j’ai fait pareil, mais dans l’autre sens bien sûr… Avec le même résultat. J’étais un peu échaudé, parce que ce n’était pas la première fois qu’elle restait silencieuse, mais j’ai continué, et à chaque fois qu’il y avait quelqu’un d’autre avec moi dans la rue, elle n’a rien dit.

Bon. Il n’y a pas tant de passage que ça dans cette rue, il faut bien l’avouer, et j’ai parfois pris les escaliers. Mais ils sont tellement longs. Et raides… Ça a peut-être duré trois ou quatre jeftu. Et puis un jour, je ne sais pas pourquoi, le ra que je suivais s’est mis à courir. Peut-être qu’il a eu peur que je l’agresse… Comme si quelqu’un irait prendre le risque de faire un truc pareil juste à côté de la résidence de la Reine Rouge ! Mais je me suis retrouvé tout seul. Immédiatement, la Bouche s’est animée.
“Dans le Rêve, il y a un sac. Et au fond du sac, il y a un trou. Et dans le trou, il y a les Brumes. Et au cœur des Brumes, il y a l’Œuf. Et de l’Œuf, veulent s’échapper les Rêves.
Trouve l’Œuf. Avant que l’Œuf ne trouve le trou. Vite. Trouve l’Œuf.”
Je ne savais plus quoi faire. Je suis resté là à regarder cette stupide pierre pendant je ne sais pas combien de temps. Et puis je suis rentré chez moi, j’ai rempli un sac, et je suis parti. Ça paraissait la seule chose à faire.

J’ai marché un moment dans les Plaines, sans vraiment savoir où j’allais. J’ai trouvé des exploitations agricoles pour dormir, et pour manger. Ou des relais de branaz. Et puis j’ai vu ici. Je ne sais pas pourquoi, ça semblait le bon endroit.
Sauf que je ne sais plus. »
Il soupira.

« Vous n’auriez pas un Œuf dans un sac, par hasard ? »
La cuisinière en chef sourit gentiment, en secouant la tête : « Nous avons des œufs. Et des sacs. Mais pas de Brumes, j’en ai peur. Mais pourquoi les Plaines ?
- Je ne sais pas. Ça paraissait une bonne idée… C’est stupide… »
Elle sourit une nouvelle fois : « Ça nous aura au moins permis d’entendre une bonne histoire. »
Elle regarda le reste des ra attablés d’un air interrogateur, et la tcara toute frêle sourit timidement : « Il y a un endroit dans le Désert. Je n’arrive pas à retrouver son nom exact, et j’ai oublié presque tout ce que j’ai appris de la langue des N’Shali N’Bhali… Il me semble que ça veut dire “le fond du sac”, ou quelque chose comme ça. Je me souviens que le nom m’avait marquée quand on apprenait la géographie du Désert à l’Infra… »
Un tcara aux cheveux gris brillants hocha la tête : « Dakloi. Administrativement, c’est dans les Plaines, mais c’est un point d’eau assez typique des marches du Désert. Enfin, c’était un point d’eau. Il me semble qu’il est de plus en plus souvent à sec, et je crois que les tribus du coin l’évitent désormais. »
La cuisinière hocha la tête à son tour, puis consulta à nouveau du regard son équipe réunie autour de la table : « Quelqu’un d’autre a une idée pour résoudre cette énigme ? »
La plupart des ra secouèrent immédiatement la tête. D’autres prirent un peu plus de temps pour réfléchir mais, finalement, personne n’avait rien à proposer.

Lan’Urbei se releva lentement. « Dakloi ? On dirait que je vais devoir aller dans le Désert, alors. »
Il poussa un profond soupir, et salua les ra présents d’un air fatigué. « Ki’e pour les idées. Et pour les gâteaux. »
Un concert de “a’o xamgu velkla” lui répondit tandis qu’il ramassait son sac, et repartait vers la sortie de la cuisine.

Kirun le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il ait passé la porte, puis elle avala les dernières gouttes de sa chope.
« Allez ! La pause est finie. »
Toute l’équipe se leva, et se mit au travail pour la préparation du repas du soir. Le temps que les premiers plats soient chauds, la cuisinière avait chassé de son esprit les mots troublants de la Bouche.

Mais, cette nuit-là, les cauchemars commencèrent.

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