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Portes ouvertes à la Légion d'Hoslet

Les tunnels défilaient derrière les fenêtres du tram.
Le trajet entre la capitale et Hoslet était assez fréquenté, comme il convenait à une ligne desservant la principale ville d’un important kastron. Ainsi, les parents de Cancan et Kirun avaient trouvé une place dans un wagon en partance, quelques minutes seulement après avoir quitté le convoi de satga’a dans lequel Rin s’était débrouillé pour les faire voyager gratis depuis l’exploitation.

Le père de Cancan tentait de masquer son excitation : il avait beaucoup voyagé dans les Plaines, et même dans le Désert longtemps auparavant, et il s’y connaissait parfaitement en branaz – ce qui convenait très bien à son activité actuelle de gérant d’un relais de ces montures quasi universelles – mais il n’avait jamais pris le tram auparavant, et la nouveauté ne s’était pas encore émoussée. Il faut dire que, malgré la fréquentation et l’âge du tunnel, celui-ci traversait encore quelques zones quasi sauvages, et Kirun reconnaissait volontiers que le spectacle qu’offraient certaines grottes aurait mérité que le tram s’arrête et laisse ses passagers s’en repaître à loisir. Mais le conducteur avait un horaire à respecter. Et ses passagers habituels étaient de toute façon probablement du genre à s’intéresser à la destination davantage qu’au chemin.

Kirun se recala dans son fauteuil lorsque la dernière grotte disparut, et croisa le regard pétillant de la mère de Cancan. Celle-ci avait beaucoup plus l’habitude de ce moyen de transport que son compagnon, même si elle tenait le relais avec lui depuis déjà plusieurs décennies. Et qu’elle était aussi douée avec les branaz. Son excitation était donc due davantage à l’anticipation de retrouver son fils qu’au voyage en lui-même, et les deux ra échangèrent un sourire.

Même si Isnat n’avait aucun lien de parenté avec Kirun, elle était probablement ce qu’il avait de plus proche d’une mère, puisque c’était elle qui avait soigné ses bobos et lui avait distribué les taloches qu’il méritait – enfin, un certain nombre d’entre elles – depuis son arrivée dans l’exploitation. D’ailleurs, et même s’il n’était pas le seul, il l’appelait souvent Mam’U’Kirun. En général pour la faire râler, mais quand même.

Et dire qu’il avait fini par rejoindre la Légion. Après tout ce temps. Elle se demandait comment il s’en sortait. Et comment son chef s’en sortait aussi, d’ailleurs. Isnat n’avait pas volé sa réputation de farceur impénitent, et elle doutait que son goût pour les plaisanteries douteuses ait complètement disparu. Mais même si ses très rares messages n’avaient guère donné de détails, rien n’indiquait qu’il s’était fait renvoyer. Peut-être s’était-il assagi. Kirun renifla ironiquement : elle le croirait quand elle le verrait. Elle aurait plutôt parié sur un meilleur choix de ses cibles, ou une amélioration de ses capacités à ne pas se faire prendre.

La voix du conducteur interrompit ses réflexions. Ils arrivaient à Hoslet et elle récupéra donc son sac pour descendre. Elle avait été un peu surprise par le nombre de petits mots et d’enregistrements krili déposés par le personnel de la cuisine dans le sac qu’elle avait laissé à cet effet. Et des autres équipes aussi, a priori. Finalement, malgré ses tours pendables, et même s’il ne donnait guère de nouvelles, Isnat restait un ancien de l’exploitation, quelqu’un à qui on était heureux de passer le coi. Un membre de leur famille élargie, ou de leur tribu. Elle sourit à cette idée tandis que le tram s’arrêtait, et elle suivit les parents de Cancan sur le quai.

La foule se pressait dans la station : c’était journée portes ouvertes à la Légion, et toutes les familles devaient en profiter pour venir voir leurs fils et leurs filles, ou leurs parents, ou des membres de leur clan, ou… Et comme la ligne avec Natca était la plus pratique pour rejoindre Hoslet depuis à peu près n’importe où dans le Khanat, on trouvait des ra de tous horizons sur le quai. Malgré l’heure encore matinale, des vendeurs se pressaient au milieu des voyageurs, proposant mille et une bricoles aux armes des différentes légions, mais Kirun se dirigea rapidement vers la sortie, et la mère de Cancan lui emboîta le pas avec à peine une hésitation. Le père de Cancan mit un peu plus de temps à réagir, et le temps qu’il les rejoigne, la cuisinière avait déjà acheté un plan de la ville à un guide officiel et l’avait inséré dans son lecteur.

Elle n’aimait pas la Ville. Elle n’aimait pas sa Voix qui se déversait partout. Elle n’aimait pas la façon dont zbasu imprégnait les lieux. Et surtout elle n’aimait pas les insignes du kagnivo qui tenait le kastron et qu’elle voyait sur beaucoup trop de tenues et d’uniformes à son goût. Les cinq cercles entrelacés de l’emblème officiel lui donnaient l’impression de vouloir l’étrangler. Son humeur se détériorait rapidement, et elle préférait s’éloigner de la presse pour reprendre un peu d’air et se réadapter à cet environnement.

Heureusement, ils retrouvèrent vite un peu de calme en s’éloignant de la station de tram, et Kirun constata qu’elle n’était pas la seule à avoir besoin de temps pour s’acclimater : les parents de Cancan, habitués plus encore qu’elle à culno, semblaient mal à l’aise. Ils s’arrêtèrent donc tous les trois dans un bar, et commandèrent un lait de jrada’a le temps de reprendre leur souffle. Il ne leur fallut pas très longtemps, en fait, et une fois leurs consommations terminées et payées – avec une grimace de la mère de Cancan quand elle vit le prix – ils suivirent les indications du lecteur de carte jusqu’à la caserne des deux garçons.

Les Légionnaires de faction les saluèrent poliment et vérifièrent leurs invitations avec attention avant de les laisser rentrer. Le père de Cancan s’en inquiéta un peu, mais Kirun haussa les épaules : soit c’était toujours comme ça – ce qu’elle aurait trouvé plutôt normal – soit ils en rajoutaient pour impressionner les visiteurs – ce qui ne l’aurait pas étonnée plus que ça. Ils suivirent le parcours fléché et rejoignirent la salle où divers Légionnaires nouvellement engagés attendaient pour faire visiter avec beaucoup de fierté leur lieu de vie et de travail. Ni Isnat ni Cancan n’étaient visibles, mais les invitations avaient été claires : les invités pouvaient visiter le matin, et assister ensuite au spectacle donné par la Légion. Les retrouvailles étaient réservées à la fin d’après-midi. Il valait donc mieux pour tout le monde qu’ils ne se croisent pas.

Le trio et quelques autres ra suivirent donc une Légionnaire un peu crispée, qui leur fit découvrir le dortoir. Le réfectoire – Kirun se retint pour ne pas aller voir comment ça se passait dans le fond de la salle sous l’œil amusé des parents de Cancan. Les salles d’exercices divers, corps à corps, tir, musculation, et autres activités indispensables aux militaires. Les grands terrains pour les manœuvres de groupe, et les salles d’entraînement pour de plus petits comités. Et enfin un petit tour dans les salles du commandement – soigneusement rangées et probablement nettoyées de toute information éventuellement sensible – où un officier les rejoignit et les guida, ainsi que d’autres petits groupes qui arrivaient avec leurs accompagnateurs, dans une vaste salle qui servait à l’instruction théorique.

Là, avec force schémas et croquis, il leur expliqua l’organisation générale d’une Légion (avec plein de grades en “tarque”, mais aucune mention de l’intendance ou de la logistique, nota Kirun avec amusement) et ses différentes missions (primordiales pour le kastron, dangereuses parfois mais forcément glorieuses dans ce cas-là, et bien sûr toujours honorables – Kirun avait de plus en plus de mal à retenir quelques remarques bien senties) avant de leur proposer de poser toutes les questions qu’il leur plairait. Kirun sourit ironiquement lorsqu’il prit la peine de préciser, la voix pleine de regret, qu’il ne pourrait néanmoins peut-être pas répondre à toutes leurs interrogations légitimes si celles-ci entraient en conflit avec des contraintes opérationnelles. Elle se demanda brièvement quel genre de réponse elle aurait si elle demandait qui était finalement intervenu pour se débarrasser des bandits du Tsari’e au printemps précédent. Probablement une histoire de contraintes opérationnelles.

Elle secoua la tête inconsciemment. Non, décidément, si elle avait eu le moindre doute, ce laïus l’aurait levé : la Légion, ce n’était pas pour elle. Mais elle se demandait avec de plus en plus d’inquiétude comment Isnat s’en sortait dans ce milieu rigide.

Les questions du public tournaient essentiellement, et sans grande surprise, sur l’entraînement et les missions des dernières recrues, et Kirun devait bien reconnaître que l’officier gérait parfaitement cet aspect de la communication. Quoi qu’elle pense de l’institution en tant que telle, celle-ci employait visiblement des ra compétents. Elle s’installa donc aussi confortablement que possible – c’est-à-dire pas beaucoup, les nouveaux Légionnaires ne devaient pas pouvoir prétexter le confort des sièges pour s’endormir pendant les cours – pour admirer le numéro auquel elle assistait. L’intendant connaissait, et arrivait à contrer de mieux en mieux, la plupart de ses trucs. Peut-être qu’elle apprendrait un ou deux nouveaux tours finalement.

Le public finit par épuiser son stock de questions et, à l’admiration certaine de Kirun, l’officier répondit à la plupart et noya très élégamment les autres sans avoir besoin de se retrancher derrière ses fameuses contraintes opérationnelles. Si elle avait eu une bonne raison d’être au courant, Kirun aurait peut-être posé sa question finalement, pour voir quel genre d’esquive elle aurait obtenue. Mais elle ne pouvait pas trahir Dani, et elle se contenta donc de noter avec intérêt comment l’orateur s’y prenait. Ce n’était pas tout à fait adapté à sa situation, mais il devait y avoir moyen d’adapter certaines techniques pour embêter l’intendant.

Elle se leva ensuite avec les autres, et rejoignit la foule des parents et amis qui commençait à remplir les gradins autour d’une esplanade immense. Ils étaient arrivés relativement tôt et purent donc choisir une bonne place : les parents de Cancan auraient aimé être au premier rang, et s’inquiétaient déjà que les autres spectateurs commençassent à s’y entasser, mais Kirun les dirigea vers un degré à mi-hauteur. A moins d’avoir beaucoup de chance, il était peu probable qu’ils soient juste en face de leur fils à un moment ou un autre du spectacle. Mieux valait profiter d’une vue un peu plus large. Et si elle ne se trompait pas sur l’organisation des accès de l’esplanade, ils allaient être juste au-dessus et derrière les places d’honneur : autrement dit, ils verraient presque aussi bien que les officiels. Et, avantage pas tout à fait négligeable, ceux-ci avaient peu de chance de les voir. D’ailleurs, quelques ra s’y installaient déjà : après quelques salutations polies, en habitués locaux des parades, ils confirmèrent l’intuition de Kirun, et le trio s’assit confortablement pour patienter et admirer le spectacle.

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