Ian pose sur la petite table dans le jardin un plateau garni de brioches. D’un pichet s’élève une savoureuse odeur de caklyladru1).
— ki'e, déclare Zéphyr en regardant l’offrande d’un air gourmand.
— Qui quoi ?
— Cela veut dire “merci” en langue sacrée. Ki-hé, pas qui ! Et puisqu’on en parle… et si on commençait à regarder quelques mots de politesse en lojban ?
Les ra autour de la table hésitent un peu : bosser si tôt le matin ? Mais la brioche rend tout plus doux. Et finalement, c’est un bon moment pour apprendre un peu plus la langue sacrée.
Zéphyr explique après s’être servi généreusement :
— Il y a d’abord celui que vous connaissez tous : coi. Et il faut le dire “choï”.
— Et chaï, c’est le thé !
— Nan, cai c’est pour les attitudinaux et… Ah, ne détourne pas la conversation, Mina ! Pour dire bonjour à tous : coi ro do. ro veut dire “tout” et do c’est toi/vous. On peut aussi saluer les gens en mettant la première lettre de leur nom, en lojban : coi my pour “Bonjour M” (Mina), coi ibu pour “Bonjour I” (Ian) ici, par exemple.
Ian demande :
— Je peux dire coi do à quelqu’un qui arrive ? Au lieu de coi zy par exemple ? Ou ça parait inutile, coi étant suffisant ?
— Je n’ai jamais vu personne faire ça. Mais dans l’absolu ça me semble possible. coi suffit en général.
— Peut-on considérer le coi seul comme un salut familier et la version longue comme plus …
— Il n’y a pas de notion de langage familier ou soutenu en lojban.
— Pas de différence entre un nom propre et un nom commun, je suppose ? demande Lord Delaboucle.
— Ta réponse appelle une réponse complexe. Le lojban n’a pas vraiment de “nom commun”. Il y a des cmavo, des prosumti, des … j’ai oublié les noms… Le nom propre, c’est “un nom qui définit un individu donné”. En lojban, ce sera indiqué avec la devant le mot. Si je dis gleki je parle du bonheur. Si je dis la gleki je parle de la personne s’appelant gleki. Donc pour savoir si c’est un “nom commun” ou un “nom propre”, il faut analyser la proposition, la phrase tout entière, dans son contexte, et espérer que ton interlocuteur n’a pas fait de faute !
Elle eut un petit sourire en disant cela, elle-même ayant plus souvent qu’à son tour des erreurs de prononciation, puis continua :
— Après bonjour, au revoir :co'o (à dire choho) et co'o ro do. Même modèle que “bonjour à tous”, mais pour au revoir !
— J’ai entendu un ra dire coi di'ai l’autre jour.
— Cela pourrait se traduire par “bonne route”, quoique la traduction littérale serait sans doute “au revoir, que le sort te soit favorable”. C’est la première fois que j’entends ça…
— Et pour souhaiter un bon appétit ?
— Il n’y a que dans la région d’Hoslet où la nourriture a une telle importance ! Tu peux essayer a'o ko xamgu citka (aho ko rhamgou chitka), “j’espère que tu mangeras bien”. Il reste deux petits mots utiles. Le premier est ki'e (kihé) qui a lancé cette conversation : “merci”. Le second est je'e (jéhé) qui veut dire “ok, message reçu”.
Elle fit une pause, puis lança d’un air théâtral :
— Maintenant… Je dois vous apprendre un truc vital, pour si un jour vous tombez sur un maître de la langue sacrée sur votre Kom.
Les ra tendirent l’oreille.
— Parfois, après votre coi, certains répondront do mo. C’est piégeux, car il n’y a pas de point d’interrogation, qui n’existe pas en lojban, mais c’est une question, et une question courtoise qu’il serait malséant d’ignorer. Ici au dispensaire, après notre “bonjour”, on a l’habitude de demander “comment ça va ?”. C’est le même genre de question, sauf que hors du dispensaire, on s’intéresse moins à votre état d’Oubli qu’à ce que vous faites. do mo veut dire “Tu fais quoi là ? Qu’est-ce qui t’occupe ?”. C’est une question très vaste à laquelle on peut répondre ce qu’on veut ! Et si vous voulez être poli, il faut tenter de donner une réponse honnête, pas une phrase toute faite. Mais on ne meurt pas de passer pour un oublieux ignorant !