Improbable probabilité

À droite, mon équipe. Antyl est ferme sur ses jambes, son bouclier rond en position de défense, son glaive affûté prêt à trancher. Navim vérifie une dernière fois son arbalète. L’arme est un peu longue à charger, mais fait de sacrés dégâts. Lyan ajuste la position de ses dagues ; je me demande combien il en cache dans son armure. Mais ce ne sont pas ses dagues, ses vraies armes.

À gauche, les autres. Il y a Röckam, le seul dont je connais le nom, et celui qui, je le sais, est le guerrier le plus redoutable. Sa longue épée à deux mains semble avaler les rayons du soleil, la lame noire est presque un fragment d’obscurité. Derrière lui, deux archers. Je grimace. Au corps à corps, ils seront en difficulté, mais vu les positions de chaque équipe, ces deux arcs vont être une vraie plaie. Et un peu plus loin, en face de moi, leur chaman. D’un coup d’œil je le jauge, tandis qu’il fait de même. Nous échangeons un discret signe de tête : chacun a compris ce que vaut l’autre, et il ne sert à rien de s’affronter directement.

Antyl et Röckam, eux, n’en sont pas aux signes de connivences. Chacun regarde l’autre comme si son regard pouvait tuer. C’est de la simple intimidation de guerrier et ça a peu de chance de marcher.

L’un des archers perd patience et décroche une flèche. Navim l’évite de justesse. Je regarde la stratégie avec amusement. Comme prévu, les archers tentent de se débarrasser de Navim et Lyan en premier, qui sont leurs adversaires les plus probables. Je vois le chaman se concentrer pour permettre à son équipe de ne pas faiblir, que leur concentration reste entière et leurs traits toujours aussi rapides. Je fais confiance aux miens pour esquiver les plus dangereuses.

Lyan finit par se prendre une flèche dans le bras, puis une autre dans le torse. Il éclate de rire, ne semblant même pas s’en soucier. Ce qui est le cas. Les archers ont un léger moment de flottement, ce qui permet à Navim de leur décocher quelques traits. Lyan éclate de rire, se moque d’eux :
— Même pas mal ! L’analgésie c’est trop cool !

Il n’a jamais brillé par la finesse de ses réparties. Et j’aimerais bien qu’il se montre un peu plus discret sur ses compétences. Ce n’est pas un combat d’honneur, juste un règlement de compte, mais c’est le genre de chose qui nuit à la réputation.

Les deux guerriers, eux, en sont encore à jauger leurs forces, à échanger quelques passes, mais sans donner tout ce qu’ils ont. Röckam ricane :
— Et l’autre piquet, là, il compte les points ?

Tu vas voir, dans quelques instants, si je compte les points…

Par contre, je ne comprends pas ce que fait Antyl. Est-ce son adversaire qui la rend aussi timorée ? Elle est d’habitude bien plus réactive. Je vois une des flèches filer dans sa direction. Avec effarement, elle ne l’évite pas. Il aurait pourtant suffi qu’elle lève un peu son bouclier… je l’ai presque vu le faire, j’étais sûr qu’elle allait le faire ! Elle accuse le coup, son bras devenu soudain inutile : elle n’a pas les potions de Lyan, elle. Röckam profite de la confusion de son adversaire, et je vois soudain les fils de l’avenir se déployer devant moi, et le seul chemin possible à emprunter.

Je cours vers eux. En quelques pas, je suis dans leur sphère d’attaque. Cela retarde le grand guerrier un instant, le temps qu’il jauge le danger que je représente avant de conclure que je ne vais pas faire grand-chose. Sa lame descend vers le cou d’Antyl, un grand geste puissant… De toutes mes forces, je repousse l’image du sang qui essaie de s’imposer à mon esprit.

La lame rebondit sans faire une égratignure, sans même contusionner Antyl. Elle en profite pour contre-attaquer, enfin, et force son adversaire à reculer. Mais je comprends que Röckam n’utilise pas que des capacités basiques dans ce combat. Ça ne m’étonne pas trop, en même temps, c’est un guerrier d’élite. Sans doute un peu trop fort pour Antyl, d’ailleurs.

Tout en restant à quel pas, je me concentre sur lui. En quelques minutes de combat, il trouve le moyen de planter son épée dans le seul arbre du coin, dont il la ressort avec quelques difficultés, avant de l’enfoncer jusqu’à la garde dans le sol. Il s’en éloigne un instant pour échapper aux coups d’Antyl, s’y reprend à plusieurs fois pour la récupérer, manque s’étaler sur le sol plus d’une fois. Je vois à son regard confus qu’il ne comprend pas la malchance qui lui tombe soudain dessus. Tant mieux ! Il finit par récupérer sa lame, échange de nouveau des coups avec notre guerrière.

Un des archers, lui, a compris. Il me vise, sa flèche part. Me rater à cette distance lui parait impossible, mais une bourrasque soudaine se lève et dévie la flèche à quelques centimètres de moi. J’ai eu chaud, mais c’est toujours le cas avec ces techniques… Sans se démonter, l’archer encoche une nouvelle flèche, sûr de m’avoir à l’usure. Concentré sur moi, il ne voit pas que le combat s’est rapproché, et Röckam qui recule lui met un formidable coup de coude dans le crâne, qui l’assomme net. Je ne peux retenir un petit sourire. J’adore quand l’équipe adverse se met toute seule hors de combat. Le fait que je les aide délicatement à en arriver là ne diminue en rien mon plaisir…

L’autre archer, je sais que Navim et Lyan s’en chargeront. Quant au chaman, il n’a dans sa besace que de quoi soutenir ses troupes et se protéger lui-même. Je le sens à deux doigts de fuir le combat. Mais Antyl s’est épuisée dans ce combat, elle ne tient que grâce à mon soutien.

Röckam hurle :
— Tu crois que je n’ai rien vu ? Ça ne va pas se passer comme ça ! Tu peux bien obliger mon arme à tomber, je finirais par t’avoir ! Tu vas faire quoi ? Échapper à un coup au dernier moment ? Me faire glisser ? Tu as montré toutes tes cartes, mais tu ne m’échapperas pas éternellement !

Je jette un coup d’œil à l’avenir, souris, et lui déclare :
— Ton prochain coup ne peut que me toucher.

J’en suis encore à parler qu’il lance sur moi une des petites fléchettes cachées au creux de son bras. Comme prévu, cette dernière se plante dans mon cou, déversant son poison dans mes veines. Je savais bien que ce guerrier n’avait aucun honneur… du poison. Je ferme un instant les yeux, tandis que son rire résonne.

Puis je les rouvre, enlève la fléchette qui me tiraille un peu la peau, et le regarde calmement. Il semble ne pas en revenir. Ebahi, le Röckam. Antyl reste un peu à distance, profitant de ce répit, curieuse aussi sans doute de voir comment j’ai tordu les probabilités et où je compte arriver.

Röckam prend une autre de ces fléchettes, et… Ho, juste une impulsion… Il se la plante dans la cuisse, comme pour vérifier qu’elle marche bien. Et oui, dans celle-ci, le poison ne s’est pas éventé… Je le vois tomber comme une masse puis se mettre à ronfler. Ce narcotique a l’air vraiment costaud…

Antyl trouve la force de me faire un petit sourire :
— Je te demanderais bien ce qu’il lui a pris de faire ça, mais… je crois que je sais !