Négocier avec la SACEM, même quand on n'est pas chez eux

Chronique de Zatalyz

Dans mes aventures au pays de la musique (voyage entrepris pour donner plus de corps à l'album de Nomys), j’ai dû me frotter à la SACEM.

La SACEM ? Mais, mais, on ne fait pas du libre ici ?

Si. Et malgré ça… La SACEM quand même. Ne fuyez pas, je vous explique. C’est presque drôle.

Zatalyz apprenant qu'elle va devoir négocier avec la SACEM. Cliquez pour avoir la vraie origine de l'image...

Bien que le financement des CD ait été en dessous de mes espoirs, j’ai décidé de les imprimer quand même, et le Collège m’a soutenue dans cette décision. Nous allons fabriquer juste de quoi faire plaisir aux membres de l’association, plus quelques exemplaires pour le stand, mais pas trop. Nous en réimprimerons si nous avons assez de dons et de demandes.

Me voilà donc partie à la recherche d’une société pouvant imprimer des CD et qui accepte les petites quantités. Et j’ai trouvé, même si cette partie de l’histoire aura des rebondissements.

Je regarde les gabarits et je commence à préparer les fichiers demandés. Il faut des choses dont je n’ai jamais entendu parler, et je me retrouve à solliciter Nomys sur des questions comme « c’est quoi un format DDP ? Et un PQ Sheet ? » (oui, ça a un rapport avec la musique). Et en lisant les détails sur l’envoi, j’apprends que pour imprimer un CD audio, il faut demander la permission… à la SACEM. Et mettre leur logo sur la galette. Et un message comme quoi on interdit de faire plein de choses avec notre musique1).

Oui, mais on est libre, donc ?

Donc, libre ou pas, c’est pareil. Aucune imprimeuse de CD2) n’acceptera de prendre vos fichiers si, auparavant, la SACEM n’a pas fait un petit message disant « c’est bon, ils ont le droit »3). Et me voilà à lire touuuuus les petits caractères pour être sûre qu’en remplissant ce formulaire, on ne vend pas son âme à ces créatures.

Mais non, tout va bien, on garde notre âme. C’est juste que la SACEM a un droit de regard sur tout, même sur ce qui ne la regarde pas. Me voilà donc à découvrir un site tout droit sorti des années 90. Pas de javascript moderne, pas de CDN — un instant j’ai cru que ça allait bien se passer — et une ergonomie absolument déplorable. Perdue dans un formulaire au vocabulaire abscons, je peine et je demande des détails à Nomys, encore et encore… Il a bien bossé avec moi ce jour-là !

Pour donner un exemple de l’ergonomie de fou du truc, je dois renseigner chaque titre. Bon, OK. Mais chaque titre donne lieu à une fenêtre séparée. Dans laquelle je dois remplir, encore et encore, les mêmes infos : compositrice, interprète, éditrice… Pas moyen de dire que c’est à chaque fois les mêmes noms, et de préciser sur les quelques titres où il y a des différences. Il faut tout rentrer à la main, en ayant chaque fois une nouvelle fenêtre qui se charge (pas le droit d’ouvrir dans un nouvel onglet, il faut recharger la page principale à la fin).

Sachez aussi que le prix libre, ça n’existe pas pour les CD. Soit c’est vendu, avec un prix fixe, soit ce n’est pas vendu et ça rentre dans diverses options de plus ou moins gratuit. Pour éviter tout souci, sachez donc que les CD sont « gratuits ». Mais vos dons à l’association seront très fortement appréciés, hein. Aucun rapport entre les deux, bien entendu. J’aurais pu mettre un prix fixe, mais un certain nombre de ces CD sont vraiment prévus pour être donnés (à nos contributrices, certes, mais pas forcément juste celles qui donnent des sous), et les autres, le prix aurait dépendu de l’humeur, du fait de l’envoyer ou pas, de combien ça coutera au final, bref du prix fluctuant au mieux… Au plus simple, du prix libre. Là, c’est résolu, c’est pas payant.

Je suis devenue modérément dingue, mais après quelques heures, c’était fini, j’étais contente.

Le lendemain, mail de la SACEM. « Elles ont fait vite », me dis-je.

Naïve.

C’était un mail pour me dire que j’avais reçu un message dans l’espace du compte. J’adore ce genre de mail. « Non, mais dire directement dans le mail de quoi il s’agit, c’est trop facile ».

Et il dit quoi, le message ? « Les éléments indiqués sur votre déclaration sont insuffisants pour traiter votre demande d’autorisation. En effet, il nous faut connaitre les noms et les prénoms de chaque auteur et compositeur du groupe de votre album ». Mais je les ai mis… Du moins, j’ai mis les pseudonymes des artistes. Ben oui, c’est le monde artistique, qui se présente sous son nom de naissance ? Si je vous dis « Édith Giovanna Gassion » est-ce que vous faites le lien avec l’une des plus célèbres chanteuses françaises ? C’était tellement pas logique d’indiquer autre chose qu’un nom de scène… Après quelques échanges de mails sur quelques semaines (j’étais pas pressée), je finis donc par comprendre qu’il faut plus de noms civils, et moins de pseudo. J’en suis donc à demander les détails de la vie privée des participantes à l’album et à consulter les dossiers secrets de la Police des Rêves. Ouais, j’ai des dossiers sur certaines d’entre vous, ou du moins je connais déjà assez votre état civil pour répondre à la demande de la SACEM.

Et là, la blague… Pas possible d’éditer le formulaire. On me demande des infos complémentaires, mais je ne peux pas les ajouter… Heureusement ce jour-là, la personne en charge des opérations était réactive, et dans la foulée de mon mail disant « comment j’édite ? », ma demande était élégamment rejetée, ce qui n’est jamais agréable comme action, mais qui me permettait de l’éditer pour la reproposer.

Autre petite blague. Je vous ai dit que cette déclaration, c’était pour éviter que j’imprime en pirate les CD de cette chère Édith Giovanna Gassion (qui est sous copyright classique et dont les droits doivent coûter bonbon). Et bien… tout est déclaratif, sur l’honneur. J’ai entré des noms, les pistes, la durée de chaque titre, mais jamais, à aucun moment, je n’ai eu à prouver :

Ceci dit je suis ravie qu’elles ne m’aient pas demandé plus de choses, c’était déjà assez lourd comme ça. Mais quitte à se contenter de mon honneur, j’aurais préféré signer un simple message disant « promis, on n'est pas inscrites à la SACEM, bisous, on vous aime pas ».

La nouvelle soumission a été rapidement acceptée, je dois leur reconnaitre qu’elles font leur boulot vite. Plus vite que moi. En même temps, elles sont payées à ça, elles. Vu ce que la SACEM récolte sur le dos de l’art, heureusement que c’est efficace…

Munie de mon autorisation imprimée depuis le navigateur (pas de génération de PDF, la technologie est trop récente), arrive donc la seconde partie de mon aventure : retour à l’imprimeuse, avec mes fichiers faits selon ses gabarits et le fameux sésame.

Tête de Zatalyz au moment de commander le CD. CC0. Et là, mes amies, j’ai fait une boulette.

J’ai sélectionné mon imprimeuse parce que c’était la première que j’avais trouvée avec une interface utilisable, où les prix étaient clairs, pour faire de la duplication (seule possibilité en dessous de 500 CD). Je me rends alors compte de deux choses : elle ne connait pas le HTTPS, et il n’est pas possible de créer un compte. Pas de HTTPS ça veut dire une sécurité du site tellement en carton que ça craint du boudin ; je contourne le problème avec un mail unique et comme on fait des virements, pas de risque de se faire pirater la carte. Mais, de toute façon, la création de comptes ne marche pas… Pas de compte, pas de commande. Okayyyyy…

Plan B, trouver une nouvelle imprimeuse. Heureusement, cette première société m’a permis d’affiner les mots-clés : au lieu de chercher « gravure CD audio », il faut chercher « duplication spindle CD » (spindle, c’est le conditionnement des CD dans notre cas). J’ai soudain beaucoup plus de sites pertinents et… moins chers, pour le même job. Tout n’est pas perdu !

Tout, non, mais…

Mais la SACEM, elle donne le droit d’imprimer pour une édition. Une seule. Avec une imprimeuse indiquée en toutes lettres. Tu changes d’imprimeuse, tu refais un formulaire…

C’est aussi le moment où je me rends compte que lors de l’autorisation, une case a sauté (ce n’est pas marqué comme autoproduit alors que ça l’est).

Et il y a ce message, tellement énervant quand on a rempli chaque petite case de chaque foutu titre dans cette affreuse fenêtre qui recharge tout à chaque fois… En face de chaque titre, c’est indiqué « propriétaire actuellement inconnu ». Inconnu de la SACEM, mais préciser le dernier bout leur arracherait les doigts, je pense. On sait qui c’est, les propriétaires : c’est le commun ! Bon, et c’est Nomys, aussi. Mais ce n’est pas un inconnu !

À ce stade de l’histoire, je bavais en éructant des sons bizarres, j’ai décidé d’aller faire autre chose. Écrire tout ça m’a bien défoulée… je retourne dans ce monde de furieuses. Je les aurai, et elles ne m’auront pas ! Et j’aurai mon CD !!!!!

Zatalyz prête à décapiter tout ce qui traînera sur le chemin. CCO de l'époque d'il y a longtemps, ça vient de wikimedia sinon.

1)
En vrai, j’ai hacké la mention légale. Vous découvrirez ça avec une loupe sur le CD.
2)
On le sait, ici, c’est au féminin.
3)
Parce qu’en plus, ces gens accordent n’importe comment. Un comble pour qui gère de la musique.